* Témoignage de vie de Dominique, autour du thème de la SOLIDARITE

Propos recueillis par FabriceInterview

Dominique est prêtre et est D&Jiste depuis de nombreuses années. Il est en particulier à l’origine du lancement des activités « Fêtez Dieu. » (groupe de prière LGBT) à Paris.

D&J : Est-ce que tu veux bien te présenter ?

Dominique : Je suis né en 1967 en Bretagne, deuxième d’une famille de quatre enfants. J’ai été ordonné il y a une vingtaine d’années.

D&J : Qu’est ce qui t’a amené à la prêtrise ?

Dominique : Ce qui m’a habité depuis le début était la notion de justice. L’étincelle a été de constater l’injustice au sein de la cellule familiale de mes parents et la violence entre mon père et ma mère. La foi de ma mère et l’éducation religieuse m’ont aidé à découvrir le Christ comme un ami, et comme quelqu’un qui annonçait la justice pour les pauvres ainsi qu’il est dit dans les Béatitudes « Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux leur appartient. ». Je ressentais l’amour du Christ pour les plus démuni-e-s.la-justice

Un témoin de mon village d’origine m’a marqué en ce sens : le Père André-Marie Talvas, fondateur du NID et de Vie Libre. Engagé toute sa vie auprès des prostituées sur Paris et des personnes malades de l’alcoolisme, il m’a marqué. Je le rencontrais régulièrement quand il venait en vacances au village. Plus tard, il m’accueillera chez lui, et je l’accompagnerai sur les lieux de vie du Nid en particulier.

J’ai cheminé aussi avant le séminaire grâce aux frères de Ploërmel, dans un juvénat de la 5ème à la 3ème. Il y avait tout un cheminement et toute une vie spirituelle durant laquelle je pouvais vivre des temps de prière que nous préparions nous-mêmes et une eucharistie tous les jours. Cela a nourri ma spiritualité de manière très moderne et non rigide, dans l’esprit du Mouvement Eucharistique des Jeunes en particulier (M.E.J.).

Puis de la seconde à la terminale, poursuivant mes études, j’ai été dans un foyer pré Séminaire pour continuer à réfléchir à la vie de prêtre.

Arrivé au séminaire, un stage m’a marqué. C’était en première année, « en milieu de pauvreté », avec ATD Quart Monde. Nous allions le long des autoroutes, à la rencontre des gens vivant en caravane, faire de l’animation de bibliothèque de rue. Durant ce stage, j’ai pu vivre une retraite spirituelle proposée aux personnes du Quart Monde, un temps formidable. Ce stage m’a amené ensuite à vouloir m’engager avec des prêtres ouvriers tout en étant au séminaire et à avoir une pastorale avec les personnes à la rue. Ces prêtres ouvriers étaient gardiens d’immeubles et accompagnaient les gens dans la rue. Cela m’a permis de vivre des choses extraordinaires, de découvrir ce monde des exclu-e-s et de partager des solidarités inoubliables.Tourists are heated at a fire at night

J’ai été ensuite deux ans prêtre en banlieue et j’ai continué en même temps à intervenir en milieu de précarité, auprès d’étranger-e-s, des non chrétien-ne-s aussi. J’étais invité en quelque sorte à être un pont entre les copains et les copines à la rue qui venaient faire la manche à l’entrée de l’église et ma communauté paroissiale.

Un des éléments marquants de cette période a été l’assassinat d’un copain de la rue à la sortie de l’église, uniquement pour une question de place pour vivre, et pour quelques pièces. Cet évènement dramatique m’a beaucoup interrogé dans mon parcours spirituel et sur la place de Dieu dans ma foi. Dans l’esprit des mouvements de l’Action Catholique (Mission ouvrière, Action catholique ouvrière, Action catholique des enfants, Jeunesse ouvrière chrétienne, Jeunesse Indépendante Chrétienne), ma foi en Dieu s’est creusée dans une foi en l’homme et dans l’action de l’Esprit au coeur de la vie de l’Homme, y compris et spécialement dans le-la plus désespéré-e, le-la plus meurtri-e, le-la plus bas-se…

D&J : Puis tu as quitté la prêtrise ?

Dominique : Deux ans après, j’ai rencontré mon ami. J’ai quitté le ministère après en avoir parlé avec mon évêque. J’ai vécu avec mon ami durant 17 ans. Il est décédé il y a deux ans. Jamais malade … une méningite foudroyante.young male couple embracing outdoors

D&J : Et tu as continué comme travailleur social…

Dominique : Partant de l’Eglise, j’ai travaillé dans le domaine de la protection de l’enfance. J’ai passé un an à m’occuper d’adolescent-e-s prédélinquant-e-s dans un internat en tant que moniteur éducateur. Je suis alors rentré dans une école d’assistant social, en étant boursier car je n’avais pas de moyens financiers.

J’ai été ensuite embauché par le Département. J’ai exercé durant 10 ans en polyvalence de secteur, c’est-à-dire pour tout public sur un territoire défini : personnes âgées, jeunes, femmes, et majoritairement un public de femmes vivant en monoparentalité. J’ai eu à travailler sur un ensemble de problématiques diverses : recherche et aide au logement social, demande d’aide alimentaire, demande d’aide financière (très fréquemment pour payer les factures d’électricité), protection de l’enfance : maltraitance ou risque de danger pour un enfant, etc. La protection de l’enfance est en fait une des missions essentielles au niveau des départements.

J’ai ensuite passé trois ans dans un service spécialisé lié à la protection de l’enfance avec la mise en oeuvre de mesures judiciaires pour protéger les enfants placés en famille d’accueil ou dans des foyers éducatifs pour les mettre à l’abri des dangers de leurs propres familles. Il s’agit, en tant que référent central de l’enfant, de veiller au travail de l’assistante maternelle, des personnels du foyer. Il s’agit aussi d’assurer le lien avec les familles biologiques pour permettre un éventuel retour de leur enfant ou de permettre le maintien des liens malgré l’éloignement judiciaire par l’organisation de visites médiatisées. Il y a une forte dimension d’urgence et un travail éducatif prégnant.Loyality

Depuis deux ans, je suis revenu en région parisienne, suite à la réussite d’un concours. Je suis désormais en charge d’équipes de travailleurs sociaux sur une mission de polyvalence de secteur.

D&J : Durant toutes ces années quelles évolutions as-tu constatées ?

Dominique : Il y a une augmentation des problématiques et de la charge de travail pour les services. Les moyens financiers se réduisent. Avec des évolutions qui s’accélèrent et des dispositifs nouveaux.

En métropole, les moyens humains diminuent dans les associations qui travaillent sur les questions de solidarité. Les dispositifs légaux sont de plus en plus présents et veulent améliorer les choses (ex : le Revenu de Solidarité Active) mais de plus en plus de gens vont ouvrir les poubelles sans attendre la fin du marché ou la nuit. Je constate aussi les marchés parallèles où l’on vend la dernière paire de chaussures à la sauvette dans la rue.

Les personnes viennent et sont en attente de leurs droits. Ce n’est pas toujours facile, par exemple la loi DALO sur le droit au logement est difficilement mise en place. Les usagers vont de plus en plus souvent au bout des procédures pour faire valoir ce droit au logement qui ne leur est pas permis, car ils sont en attente depuis des années d’un logement social.sdf-sur-le-trottoir

Il y a un nombre croissant de familles monoparentales qui ont besoin d’une prise en charge particulière par les services sociaux, avec par exemple le développement de modes de garde pour permettre l’insertion de ces femmes seules. Là où je travaille, 80% des situations relèvent de la monoparentalité. 60% des personnes suivies sont au RSA (revenu de solidarité active). La pauvreté ne se limite pas à ces gens-là, par exemple il y a ceux qu’on appelle les travailleurs pauvres. Les problèmes sociaux sont innombrables.

C’est assez usant d’être quinze ans en présence directe sur le terrain. Le fait de prendre un poste d’encadrement me permet de rebondir. Il me faut maintenant aussi entendre la souffrance des travailleurs sociaux. Il y a une forte envie de se donner, que ce soit chez les jeunes professionnel-le-s ou les plus ancien-ne-s. Le travail d’encadrement consiste aussi à aider les équipes dans les situations compliquées, par exemple pour recevoir des publics agressifs.

D&J : Aurais-tu pu faire autre chose que du social en quittant l’Eglise ?

Dominique : C’était probablement le plus logique et le plus simple de devenir assistant social. A la fois il me fallait assumer ma subsistance. En même temps, il y a une dimension de justice dans ce métier et il faut des qualités d’écoute bienveillante. De plus, la dimension de protection de l’enfance rejoignait ce que j’avais pu appréhender dans ma propre enfance, et qui m’avait amené à la rencontre de « l’ami Jésus ».jar

D&J : Qu’est ce qui caractérise ton métier ?

Dominique : C’est probablement le fait de passer le moins de temps possible sur la demande d’aide financière (malgré le nombre qui explose), mais d’assurer des visites à domicile par exemple, car une relation autre s’engage. Etre capable de faire des actions collectives pour aider les gens à se « parenter » par exemple (apprendre à des parents à devenir parents). C’est tout ce travail éducatif, le compagnonnage que l’on assure avec ces personnes, souvent sur plusieurs années, voire sur plusieurs décennies. Il s’agit d’avoir une écoute pleine d’empathie, mais nous ne sommes pas psy. Il faut permettre à l’autre de s’exprimer et d’avancer. Mais cela demande du temps que nous n’avons pas toujours. Nous sommes souvent dans des situations d’urgence.

Heureusement, nous ne sommes pas seuls et travaillons avec un grand nombre d’autres acteurs : travailleurs sociaux, assistants sociaux du monde scolaire, des hôpitaux, des organismes type CPAM, CAF… Nous rencontrons deux types de public : des personnes qui ont besoin d’une aide passagère de notre part, d’autres qui ont besoin d’un suivi plus appuyé. Dans tous les cas, le maître mot de notre travail est l’autonomie de la personne. Des gens s’en sortent, d’autres ont des parcours de vie tellement difficiles qu’ils sont englués dans des problèmes sociaux, psychologiques ou psychiatriques et auront toujours besoin de cet accompagnement social.

D&J : Tu as aussi travaillé en Nouvelle-Calédonie ?Round dance of 3D small people

Dominique : Le contexte de la Nouvelle-Calédonie est très différent. C’est une région riche à cause du nickel. Les moyens sociaux sont importants. Il y a une histoire récente de la décolonisation. Il y a des solidarités familiales importantes. Ce n’est plus le cas en région parisienne. Par contre, la Nouvelle-Calédonie a des problématiques importantes telles que les violences conjugales et intra familiales. En outre, le surendettement y est très présent. Il y a enfin un gros problème d’alcoolisme. J’y ai mené une action collective dans le domaine du soutien à la parentalité. J’ai eu beaucoup de plaisir de savoir que cette action avait pu se poursuivre, après mon départ de Nouvelle-Calédonie. La question de la pauvreté est souvent liée à un ensemble de problématiques (alcool, violence, problèmes psy, problèmes économiques, problèmes familiaux, etc.). Plus il y a de problématiques cumulées, plus la précarité est grande.

D&J : En quoi le fait d’être gay a-t-il influé sur ton cheminement ?Gay Priest

Dominique : C’est très lié. Toute ma vie est de pouvoir concilier ma foi et ma sexualité. Ma foi et mon orientation sexuelle sont les deux dimensions qui me poussent en avant. Je les vis pour moi, et sans être dans une démarche de prosélytisme, je veux le vivre aussi pour les autres. Je me sens en particulier militant pour faire avancer la question du célibat choisi au sein de l’Eglise. Après dix-sept ans de vie commune avec mon ami, je souhaite que ce que j’ai vécu avec lui puisse porter du fruit, un fruit qui demeure, comme dit l’Evangile (Jean 15/16). C’est l’une de mes grandes chances d’avoir vécu cela et je ne peux pas me taire. Le prêtre qui m’accompagne me dit bien que je suis un prêtre veuf, et qu’à ce titre, j’ai aussi des choses à dire, y compris à l’Eglise, une expérience de vie qui m’est utile aussi dans les rencontres qui me sont données.

D&J : Et demain ?

Dominique : Depuis le départ de mon ami, je vis des nouveaux recommencements, en particulier dans une communauté pastorale où, petit à petit, j’espère pouvoir exercer davantage un ministère sacerdotal. Je suis sollicité par des amis, en ce moment pour préparer un jeune couple au mariage ; on m’a demandé aussi pour célébrer des obsèques. Par D&J, je suis également sollicité pour des accompagnements, et je viens de participer à la célébration oecuménique qui a eu lieu juste avant la Marche des fiertés LGBT de Paris.church welcoming gay to the congregation

A David & Jonathan, je souhaite participer à cette dimension oecuménique qui est une des spécificités de D&J. Je vis aussi la solidarité à D&J, à « Pêcheur d’Hommes » (groupe de prêtres et religieux), avec des frères prêtres concernés par la question de l’homosexualité. C’est un lieu magnifique, où je suis témoin de nombreuses souffrances mais aussi d’une fraternité pleine de vie et très joyeuse. Cela me permet de vivre en vérité.

Au fond, je crois que lorsqu’on est en vérité, on est fort, même si notre fragilité est perceptible.