* Témoignage de vie de Gérard, autour du thème de la SOLIDARITE

Propos recueillis par FabriceInterview

D&J : Quel est ton parcours ?

Gérard : J’ai 61 ans, et suis issu d’un milieu agricole autour de Nancy. Ma famille était catholique. J’ai fait des études agricoles et ai passé le bac. A la suite de cela, mon père n’était pas tout à fait prêt à céder l’exploitation car il était encore trop jeune et j’avais quelques conflits avec lui.

Je suis parti deux ans dans le mouvement MRJC (Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne), où je me suis engagé avec des jeunes pour l’animation en milieu rural. J’y ai connu des prêtres et un peu mieux l’Eglise catholique par un mouvement d’action catholique. C’est dans cette culture là qu’est née ma vocation d’être prêtre. L’aumônier était engagé dans un groupe spirituel à Lyon, et qui travaillait auprès des pauvres. Il y avait à la fois une action sociale et le désir de dire que celui qui nous anime est Jésus-Christ.vitrail arc en ciel

A 29 ans, je suis sorti du séminaire et suis retourné en Meurthe-et-Moselle comme prêtre dans un diocèse rural. C’était les années 84-86. Je m’y ennuyais beaucoup. Je me suis occupé avec l’Action catholique, de jeunes en difficultés dans mon village. Ils m’ont fait connaitre leurs parents. J’ai alors connu le milieu de l’alcool, la délinquance de certains jeunes.

J’animais une équipe de rue : nous rencontrions des personnes très abimées par la vie, très marquées par l’alcool, en général passées par la prison, la rue et par l’hôpital psychiatrique.

J’ai rencontré plusieurs associations : le mouvement Vie libre qui accompagne les personnes ayant des problèmes d’alcool et qui veulent se libérer de cette addiction. A Vie libre arrivaient des femmes alcooliques et en galère, parfois dans le milieu de la prostitution. J’ai adhéré au mouvement du Nid (action auprès et en faveur des personnes qui sont dans la prostitution). Le prêtre André Marie Talvas, un des fondateur du Nid et de Vie libre, m’a beaucoup influencé. C’était un peu un prêtre proche de la classe ouvrière, dynamique, qui allait vers les pauvres.camionnette-pour-debarras

Je suis retourné vers la ville. Il y a eu quelques difficultés avec des confrères car j’avais pour ministère de m’occuper de gens en galère. Les prêtres en paroisse ne voient pas toujours d’un bon oeil que l’on ait une approche différente. Le contact avec des humanités blessées marque au niveau des horaires (de nuit), au niveau d’un mode de vie. Cela m’a amené à être aumônier de prison à Toul, où se trouve une grosse centrale et une prison un peu plus petite. J’y suis resté 8 ans, j’y allais en moyenne, trois demi-journées par semaine, où je menais une action d’écoute, sociale, et spirituelle.

Le reste du temps, avec une autre personne bénévole, femme, j’animais une équipe de rue : nous rencontrions des personnes très abimées par la vie, très marquées par l’alcool, en général passées par la prison, la rue et par l’hôpital psychiatrique. Nous faisions non seulement un accompagnement humain mais aussi des temps de prières tous les samedis. Nous priions l’évangile du dimanche « comme nous pouvions ». Il y avait quand même une parole qui s’échangeait autour de Dieu, de l’espoir. Parfois les personnes posaient des questions, parfois elles amenaient des situations « qu’elles voulaient présenter à Dieu ». Cette vie de prêtre a duré au total quinze ans.

D&J : A la suite de cela tu as quitté la prêtrise ?Kommunion

Gérard : J’ai quitté le ministère, en effet, car je n’étais pas au clair avec ma sexualité. J’ai été embauché par Emmaüs car ils recherchaient une personne qui connaissait les pauvres. La mission consistait à restructurer la branche locale qui fonctionnait mal. C’est un comité d’amis Emmaüs accueillant des personnes en insertion professionnelle, et hors emploi depuis plusieurs années, qu’il fallait accompagner personnellement et professionnellement pour leur permettre de retrouver une place en entreprise « normale ».

J’étais non seulement attentif aux aspects matériels et économiques, mais aussi humains des personnes qui arrivent « avec des grosses galères ». Ils n’ont pas de travail car ils souffrent de difficultés dans leur vie sociale et dans leur vie affective… J’y suis resté 18 ans durant lesquels nous avons accueilli de 15 à 20 personnes tous les ans.

D&J : Comment fonctionne Emmaüs ?logo-de-emmaus

Gérard : Emmaüs se fonde sur trois piliers : accueil, travail et solidarité. Emmaüs fonctionne avec des bénévoles et des salariés et agit au niveau national et international.

J’ai toujours été stupéfait par le fait qu’être accueilli faisait que les personnes retrouvaient goût à la vie, car on les considérait comme des personnes humaines. Le travail joue un rôle important pour la structure humaine : « j’ai de l’argent mais je l’ai gagné ». L’abbé Pierre a toujours soutenu le fait d’aller chercher du matériel, de le trier, de le récupérer, de le proposer à la vente. La dignité de la personne se constitue par le fait que « je suis utile à d’autres, à des plus pauvres que moi ». Le travail rend fier. J’ai vu beaucoup de gens se relever et qui se sont valorisés par le fait de travailler, certain-e-s ont retrouvé des CDD, des CDI… il y a là un vrai travail d’insertion.

La dignité de la personne se constitue par le fait que « je suis utile à d’autres, à des plus pauvres que moi ». Le travail rend fier.jai-besoin-de-travail

Il y a tout de même des contraintes car nous étions un organisme financé par l’Etat et le Conseil général, et donc avec une obligation de résultat. Les organismes financeurs deviennent de plus en plus exigeants, ce qui fait que l’on ne peut plus accepter des personnes trop démunies. Nous avons eu, au fil du temps, l’obligation de sélectionner les personnes les plus aptes à se réinsérer, et cela m’a posé un gros cas de conscience… !

Emmaüs est aussi très engagé dans l’accueil des migrants, des sans-papiers et d’autres grands combats autour du fait de mettre le logement à la portée des plus pauvres, ainsi qu’à l’international dans l’éducation des enfants de la rue en Afrique ou en Amérique latine. C’est un mouvement militant qui veut lutter contre les causes de la misère et pas uniquement un mouvement qui panse les plaies.

D&J : Et la spiritualité dans tout cela ?

Gérard : Emmaüs est un mouvement non confessionnel, mais fondé par un prêtre. Certaines personnes venaient me demander « si Dieu existe, pourquoi il me laisse comme cela ? » On n’est pas obligé d’être chrétien pour être à Emmaüs. Mais on a besoin de croire que l’autre peut se relever si on lui tend la main.hand

La spiritualité de l’abbé Pierre m’a beaucoup influencé. Pour lui, Dieu est sans aucun doute ‘’ l’Eternel Amour dans l’aujourd’hui et l’au-delà du temps’’. Il m’a toujours guidé dans l’exercice de mon travail de directeur de groupe local Emmaüs. J’ai toujours essayé de mettre la priorité sur l’accueil des plus démunis qui venaient frapper à notre porte.

D&J : En quoi le fait d’être homosexuel a-t-il influé sur ton engagement ?

Gérard : J’ai dénié mon homosexualité jusqu’à 56 ans. J’ai compris tardivement, suite à une psychothérapie, que le mal-être que je trainais comme un lourd sac à dos, était lié à une histoire qui m’était arrivée au séminaire. J’y avais rencontré un prêtre, avec lequel j’ai vécu une histoire sexuelle et affective durant plusieurs années.

Cela m’a beaucoup traumatisé et laissé un grand trouble fait de culpabilité et de sentiment de tromperie.Abdruck einer bunt bemalten Hand

Je niais les faits comme étant des faits homosexuels, mais seulement une histoire intime entre hommes ! Et je niais aussi le fait que je puisse être homosexuel. Je ne pouvais me vivre ainsi, c’était impossible. J’ai vécu une grande confusion de très nombreuses années, 30 ans environ !

Après avoir quitté la prêtrise, j’ai eu des relations avec deux femmes durant six ans à chaque fois. J’ai rencontré mon compagnon actuel il y a quatre ans. J’ai alors seulement accepté que je suis homosexuel, probablement depuis très longtemps, bien avant le séminaire ! Et de fonder un couple avec mon compagnon. Je suis arrivé à David & Jonathan par le groupe Prêtres. La Paix est revenue en moi. Je suis heureux d’ETRE qui je suis….

J’ai aussi retrouvé la paix avec « mon Eglise ». L’Eglise catholique, n’est pas claire avec la sexualité. Qui n’en souffre pas ?

D&J : Le fait d’avoir eu cette difficulté a-t-il influé le fait que tu ailles aider les gens à la rue ?

Gérard : Ma propre histoire et ma souffrance m’ont rendu proche des personnes en souffrance morale affective et sexuelle. Je me sentais très pauvre et très démuni. Ces difficultés personnelles ont influé mon rapport aux autres. Des fois, on va aider les autres pour s’aider soi-même. C’est là où tu n’es peut être pas le plus fort mais où tu es le plus Frère.Pace tra popoli

La Fraternité est la dimension qui me parait la plus juste pour rencontrer l’autre.

Les difficultés d’identité que j’ai toujours eues m’ont rendu très en recherche sur moi, et très proche de personnes en galère. Les gens en souffrance souffrent très souvent d’un problème d’identité. Elles mettent en place des addictions qui peuvent provoquer des délits, car ils-elles n’ont plus d’intérêt pour la vie, et c’est là que des drames se produisent….

D&J : Que t’a apporté D&J ? vote homosexuel

Gérard : Nous cheminons fraternellement ensemble. Avec mes copains et ami-e-s homos, J’ai des exigences par rapport à un vivre ensemble en tant qu’homosexuel. Nous sommes de la même pâte humaine, oui, et nous pouvons être proches de l’autre, sans pour autant aller au lit ensemble chaque fois que l’on éprouve des sentiments ! L’Amour ne nous rend pas systématiquement « amoureux » !

D&J a quelque chose d’original à apporter dans le mouvement LGBT : la Fraternité. C’est en devenant de plus en plus humain que l’on peut se rapprocher de Dieu. Sans faire de grand discours, Jésus a proposé une humanité réconciliée, fraternelle et solidaire. Il nous ouvre la Voie, marche avec nous.Dancing people silhouettes

A D&J, je ressens une communion dans une même humanité. Par exemple aux Journées Annuelles de Rencontre, nous nous faisons la bise, nous dansons ensemble. Nous partageons des approches de la vie qui sont un peu spécifiques aux personnes homosexuelles.

A D&J, il y a une vie où l’engagement a sa place, où le social a sa place, où la fidélité a sa place… où l’Amour et le respect ont leur place. Je me sens très bien à D&J qui m’aide à donner sens à ma vie. 