* Les mains vides ? Pas comme les Mages !

LES MAINS VIDES

Les mages sont venus à la crèche, apportant de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Qu’ont fait les parents de Jésus de ces riches présents ? Les ont-ils distribués aux pauvres ? Joseph a-t-il agrandi sa petite entreprise du bâtiment ? Ces questions sont vaines. Ce récit fait partie du merveilleux qui entoure la naissance de Jésus et les évangiles de l’enfance nous racontent bien plus la gloire de sa résurrection que les détails de sa naissance. Ils m’interrogent pourtant.
Young businessman presenting hand drawn question marks

Faut-il toujours être riche d’un cadeau pour aller vers les autres. Notre société de consommation nous y pousse et combien de cadeaux inutiles recevons-nous, notamment des publicitaires qui sollicitent notre adhésion.
Je me suis souvent trouvé les mains vides devant des situations imprévues. La vie de chaque jour apporte son lot de rencontres. Certaines nous effraient et nous voudrions fuir car nous savons que dire ou que faire. Nous allons faire un saut dans le vide et il nous fait peur !
Je me suis trouvé face à des malades du sida à une période où la maladie était mal connue et n’avait reçu aucun remède. J’ai eu envie de fuir devant des corps décharnés, en totale cachexie, des hommes que j’avais connus brillants et qui, résignés, attendaient leur fin prématurée. Que faire, que dire ?
Que dire à un malade alcoolique en pleine déchéance, qui dit n’importe quoi dans son ivresse et ne veut rien entendre des paroles de raison que je voudrais lui transmettre ?
Hands of the prisoner

Que dire à un détenu condamné pour crime qui sollicite une correspondance pour sortir de sa solitude ?
La première réponse qui vient spontanément sera un dépannage matériel pour parer au plus pressé. J’ai des moyens qu’ils n’ont pas et je vais partager. Est-ce là leur seule et véritable attente ?
Il m’a fallu aiguiser mon regard. Le dépannage ponctuel ne change presque rien aux difficultés qu’ils vivent. Le lendemain le même geste sera à refaire, ce qui engendrera une dépendance et cela risque de lasser l’un et l’autre. Mais ces malades et ces détenus sont-ils appelés à rester dans un rôle de mineurs dépendants ? Ils sont de la même race que moi, appelés à une vie digne et responsable, placée sous le signe de la liberté, capables de partager eux aussi et de faire vivre ceux qui les entourent. Ils portent en eux des ressources insoupçonnées dont ils n’ont même pas conscience. Si je me situe en tant que croyant, ils sont fils d’un même Père, créés à son image, appelés à partager sa tendresse dans leur vie de relation. Ils sont destinés à une vie heureuse et fraternelle. Et là, je me trouve les mains vides. Les bonnes paroles, les conseils ne servent pas à grand chose. Il faut qu’ils retrouvent en eux ces forces et ces ressources qu’ils portent pour affronter la réalité et prendre leur vie en main. Il faut qu’ils deviennent les artisans de leur retour à la vie. Les bonnes paroles sont vaines. Que faire alors ?
Transformation

Dans ma pratique, je me suis attaché à repérer un détail de leur vie, un hobby, un souvenir heureux, une chose qui les valorise. J’ai parlé de chiens, de vieilles voitures, de travail en cuisine et de tant d’autres choses qui ne m’étaient pas familières mais où ils avaient quelque chose à m’apprendre. Ainsi s’est créée une complicité, un besoin de se revoir en toute gratuité. Ils m’ont parlé de ceux avec qui ils vivaient leur galère, de ce qu’ils espéraient pour eux, de ce qu’ils faisaient pour s’entraider.
Et souvent le miracle se produit. Ils désirent autre chose que leur déchéance, même s’ils ne savent pas trop quoi ou s’ils s’égarent dans des rêves impossibles. Là, je-nous les avons aidés à trouver la bonne association, le bon interlocuteur pour réaliser ces espoirs. Et si, parfois, il était trop tard pour reprendre une place dans la vie, j’ai vu partir des malades réconciliés avec eux-mêmes, en paix. Je me revois au crématorium avec les 6 accompagnateurs du défunt pour évoquer les multiples énigmes qu’il nous avait posées. La veille de sa mort, il m’avait demandé de rester avec lui, jusqu’à ce qu’il s’endorme. Et là, il m’avait raconté sa vie qu’il voulait tenir cachée à ses autres accompagnateurs. Il était dans la paix. Et nous avons souvent ri pendant cette crémation. La tristesse n’était pas de mise.

Old hand (woman) holding a very old bible, rainbow flag

Si je relis cela dans la foi, je me dis que l’aide matérielle, même si elle est indispensable, serait peu de chose si elle ne s’accompagnait pas de profonde empathie au départ, suivie de près d’un cheminement plus personnel. Il manque à notre société cette fraternité, cette conscience d’appartenir à une même famille de frères et sœurs qui ne peuvent rien les uns sans les autres. Souvent, je ressens la présence de tel inconnu comme une gêne, voire une agression. Il peut lire mon indifférence ou ma peur dans mes yeux. Le plus terrible pour lui est de se sentir transparent, de constater que je fuis son regard, qu’il est devenu inexistant. Je devrais me dire que derrière sa demande immédiate, il y a une autre demande, ce besoin de fraternité.
Jésus lui-même a connu cette difficulté. Il demande qu’on ne lui fasse pas de publicité quand il guérit un malade. Il refuse son aide à la Syro-phénicienne car elle est étrangère et païenne. Il se laisse pourtant vaincre par l’insistance de sa demande et finit par dire qu’il n’a jamais vu une foi comparable à la sienne chez ses concitoyens. Quel est  le contenu de  cette foi, sinon  l’espoir de voir revivre sa fille ?
Mixity - Two joint hands symbolizing diversity

Jésus n’est pas obsédé par le péché et il accueille et se laisse accueillir par ceux qui sont considérés comme pécheurs. Sa préoccupation est ailleurs : rappeler à la vie ceux qui sont en train de la perdre. Il exorcise les démons et ramène à la vie les épileptiques qu’on lui présente. Il accueille les malades et leur donne suffisamment d’énergie pour qu’ils sortent de leur écrasement et reprennent leur place dans la société. Il est proche des gens du désert qui ont fui la vindicte des occupants romains et leur propose d’entrer dans son Royaume de résistance non-violente. C’est une vie nouvelle qu’il propose à son peuple humilié, une résurrection.
Trois jours après sa mort en croix, Dieu le rappellera à la vie. Il charge ses amis de continuer son action. Nous sommes le corps mystique du Christ et nos mains peuvent devenir les mains du miracle. Miracle ne signifie pas performance hors norme pour Jésus. Il signifie simplement que Dieu se souvient de son peuple et que sa tendresse est inépuisable.
Taube regenbogenfarben mit Zweig auf weißem Hintergrund

Puissions-nous entrer dès aujourd’hui dans cette démarche de
résurrection !

Jacques FRAISSIGNES