* HOMELIE à l’occasion d’un temps de prière avant un mariage civil d’un couple gay

Homélie (Luc 24, 13-35)

     

JP et Rayan, je vous ai proposé plusieurs textes de la Bible pour vivre cette célébration et vous m’avez dit avoir été dans l’embarras pour choisir, tant il y en avait qui vous touchaient et étaient porteurs des valeurs qui vous tiennent à cœur. Vous vous êtes arrêtés au texte de Saint Paul qui nous rappelle combien l’amour, pas seulement l’amour conjugal, mais la réalité de l’amour, est vitale en toute relation, mais aussi dans les réalités quotidiennes pour vivre en société, dans le monde. Réalité vitale mais exigeante car l’amour est parfois égoïste et ce n’est plus l’amour. Quand on aime en vérité, on ne se donne pas comme horizon sa propre personne, mais l’autre, les autres. L’amour vrai se construit et se vérifie au fil du temps. Il a toujours besoin d’être purifié des inévitables replis sur soi. Il est toujours appelé à dépasser les malentendus et les déceptions pour aller parfois jusqu’au pardon. Quand on aime, on ne cherche pas à fabriquer l’autre à son image mais on l’accueille dans sa vérité  comme il nous accueille avec nos grâces et nos pesanteurs. L’amour est donc un échange réciproque qui fait vivre !

    

Le second texte est un des plus beaux passages de l’Evangile. S’il fallait lui donner un titre, je l’intitulerai la Bonne Nouvelle de l’espérance. La merveille de cet évangile, c’est qu’il est d’une brûlante actualité, d’une grande finesse psychologique et spirituelle. Chacun peut se glisser dans la peau d’un des personnages, avec son histoire personnelle, ses réussites ou ses échecs, ses questions et ses projets. La vie y est décrite comme une route. Une route, c’est engageant, c’est dynamique alors que les tentations de s’arrêter, de s’enfermer, de s’isoler, sont mortifères. L’Evangile nous décrit deux individus sur une route. On les appelle des disciples. Cela veut dire qu’ils avaient créé une relation d’amitié avec Jésus au point de l’accompagner dans sa mission. Mais la mort de Jésus les a séparé de lui et les a effondrés. On les comprend. Il nous arrive d’être découragés et sans force lorsque survient une épreuve. Les deux disciples retournent en arrière. La route qu’ils avaient empruntée leur apparaît comme une impasse, plus encore : une illusion ou une tromperie. Ils quittent Jérusalem, le lieu qui leur rappelle la souffrance et la mort de Jésus comme il nous est parfois impossible de revenir sur un lieu qui évoque trop de douleurs ou de déceptions. Notre route, aux uns et aux autres, est parfois une route où l’on avance à vive allure parce que l’existence est sereine et parfois une route rude et escarpée où il faut prendre son courage à deux mains, ne pas laisser les vagues de la peur nous épuiser. Vous l’avez remarqué, les deux disciples marchent, sans doute sans savoir où ils vont et ils parlent. Leur parole rumine leur douleur. Ce n’est pas une parole qui les fait progresser mais les tient encore dans la tristesse et les regrets. Ils ont besoin qu’un troisième se glisse à l’improviste pour les aider à prendre de la distance. Quand on a le nez sur le volant, on ne voit plus la route et on risque d’aller dans le mur, surtout, on a une vue faussée de la réalité, comme les deux disciples aveuglés. Ils consentent toutefois à se laisser rejoindre par une présence réelle et discrète, qui ne jugera pas  leur souffrance mais l’écoutera. Une présence qui pose les bonnes questions, même si elles sont redoutables parce qu’elles appellent à sortir de soi, à préciser ce que l’on veut vraiment, à grandir ! Une présence qui fait mettre des mots sur ce que l’on vit, pour ne pas se laisser gouverner par les émotions ou l’opinion public. Une présence qui permet de retrouver l’estime de soi quand on a pu la perdre.

         

Rayan et JP, vous pouvez vous reconnaître dans cet évangile, vous pouvez reconnaître aussi tous ceux et celles qui vous ont rejoint sur votre route. Des étapes, non seulement pour vous accepter personnellement dans votre orientation affective et assumer votre passé, mais aussi pour décider de vivre ensemble, pour que votre amour mutuel soit accueilli et reconnu, non comme une perversion mais comme un chemin possible, ni supérieur ni inférieur aux autres, le vôtre, comme d’autres le vivent aussi, les uns avec liberté, les autres dans la culpabilité. Vous vous êtes épaulés comme les deux marcheurs de l’Evangile. Parfois vous avez eu la tentation de baisser les bras, vous sentant seuls et jugés. Mais votre foi, exprimée différemment l’un et l’autre, vous a ouvert le cœur à la présence secrète du Christ, à sa confiance infinie, non pour vous donner des certitudes mais pour affronter le doute et de croire en un avenir possible. Votre foi ne crée pas un cocon à deux, elle vous ouvre aux autres, à vos familles, à vos amis, à celles et ceux qui croisent votre route. Votre souci de l’accueil, du soutien, du partage est le signe que l’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans votre vie. Votre prière pour les autres, pour vos proches, pour les personnes éprouvées est un signe fort de votre foi mais aussi de votre amour des autres. Car prier, ce n’est pas démissionner, c’est aimer les autres devant Dieu !

     

Dans l’évangile, petit à petit, les deux disciples vont passer de la peur à la confiance, de l’aveuglement à la clairvoyance, du cœur glacé au cœur brûlant, de la tristesse à la joie, d’une marche errante à l’audace du témoignage. Leur vie va ressusciter, renaître ! Et cela parce qu’ils vont laisser le Christ vivant les rejoindre, les écouter, les instruire, leur partager son amour et sa paix. Quand on laisse le Christ nous rencontrer, entrer dans notre cœur, dans notre univers quotidien, on ne perd pas son temps, on gagne en espérance. Mais il faut consentir, humblement, à recevoir une autre parole, une autre présence que la nôtre.

   

Emmaüs est le nom d’une localité de Palestine où des désespérés ont retrouvé la vie et la joie. JP et Rayan, à votre tour de faire de votre vie, de votre maison, une auberge d’Emmaüs, où croyants ou non, découvriront que seul l’amour est digne de foi, que Dieu leur est proche et les accompagne. 

                                                  P Baby