James Alison dans la Croix
Entretien
« J’ai fait le choix de sortir du placard homosexuel »
Recueilli par Gilles Donada
Le théologien James Alison à Lyon, le 26 novembre. – Neal Badache pour La Croix
James Alison Prêtre et théologien Le théologien britannique est de passage en France, entre autres, pour une série de conférences ayant notamment pour thème la Bible et l’homosexualité. Ce prêtre a inspiré l’auteur de la pièce La Peur. Il apporte sa réflexion et son témoignage sur la condition des clercs gays.
Lyon (Rhône) De notre envoyé spécial
Vous vous présentez comme prêtre, catholique et homosexuel. Pourquoi ce choix et dans quel but ?
James Alison : Pour ne pas me suicider ! Et pour mettre en lumière une contradiction, voire une hypocrisie qui est invivable pour moi : celle d’une institution qui résume l’homosexualité à une tendance à commettre des actes considérés comme gravement et objectivement désordonnés alors qu’elle est composée, pour une part, de clercs et de religieux d’orientation homosexuelle. Pour accomplir avec honnêteté et responsabilité mon travail de théologien et de prédicateur, je ne peux pas dissimuler cette réalité.
J’aimerais que mon témoignage puisse aider d’autres frères prêtres et évêques à parler aussi en vérité. J’ai fait mon coming out à 18 ans. Je n’ai pas caché mon orientation sexuelle en entrant au séminaire. À l’époque, ce n’était pas un problème pour mes supérieurs.
Qu’appelez-vous « le placard homosexuel » ?
- A. :Pour survivre, les homosexuels doivent se taire et cacher leur orientation sexuelle. Ils sont davantage exposés au chantage de collègues, auteurs d’actes répréhensibles (escroquerie, abus en tout genre) – « Si tu dis ce que je fais, je dis à tout le monde qui tu es ».
Pourquoi demeure-t-on dans ce placard ?
- A. :Il joue un certain rôle de protection. Un clerc peut vivre son homosexualité, active ou non, de façon discrète. La présence d’un homme auprès d’un prêtre est souvent perçue comme amicale — et ce peut être le cas, bien entendu. La présence d’une femme aux côtés d’un prêtre est souvent sujette à des sous-entendus… Les conséquences sont plus graves : donner naissance à un enfant « sans père » ; laisser une femme dans une situation financière précaire. Cette culture du secret est un terrain fertile pour tous ceux qui, comme on dit en Angleterre, veulent jeter des pierres dans des maisons de verre (reprocher à autrui les défauts qu’on a soi-même, NDLR). Combien de pourfendeurs de l’homosexualité se sont révélés eux-mêmes homosexuels ! Mais le choix du secret se paye cher.
À quel prix exactement ?
- A. : Au prix de la honte, de la peur, de la haine de soi, de la souffrance de cacher ce que la hiérarchie ou les fidèles savent pertinemment, de la violence du discours de l’institution contre l’homosexualité que les candidats au sacerdoce doivent assimiler pour aller de l’avant… Cette occultation empêche une réflexion morale claire pour distinguer, d’une part, ce qui est de l’ordre de l’infraction à la discipline du célibat, de la chasteté (entretenir une relation intime avec une personne du même sexe ou non), et, d’autre part, des comportements pathologiques et criminels.
Dans le rapport de la Ciase, on relève qu’une large majorité des mineurs abusés sont des garçons. Certains établissent un lien entre homosexualité et pédocriminalité…
- A. : Le rapport a montré qu’il n’y a pas de corrélation entre l’orientation sexuelle et la pédocriminalité. Si c’était le cas, au vu du nombre de clercs gays, le chiffre des victimes serait beaucoup plus élevé. Le pape Benoît XVI avait réuni des scientifiques pour aborder cette question. Ils ont conclu qu’il n’existait pas de lien pertinent entre le fait d’être homosexuel et la perpétration d’actes pédocriminels.
Dans l’enseignement de l’Église, les actes homosexuels restent « intrinsèquement désordonnés »…
- A. : Cela remonte à saint Thomas d’Aquin, au XIIIesiècle. La sexualité est uniquement orientée vers la procréation dans le mariage. Tout acte ne visant pas cette fin est considéré, à divers degrés, comme « désordonné » : la masturbation, les relations hors mariage, l’homosexualité. Ces dernières années, l’Église a reconnu que l’homosexualité était une orientation sexuelle qui ne dépendait pas d’un choix personnel. La prochaine étape est la reconnaissance de l’homosexualité comme une variante minoritaire et non pathologique de la condition humaine. Ce jour-là, on enseignera que nous sommes fils et filles de Dieu, à partir de ce que nous sommes, et non malgré ce que nous sommes. Et nous pourrons parler comme des frères et sœurs. En pleine lumière.
Je félicite vivement La Croix pour avoir invité dans ses colonnes James Alison (N° du 01/12/2021). Peut-être à tort, j’ai longtemps estimé qu’il était (comme John Shelby Spong, Bruno Mori…) injustement boycotté par mon quotidien. Moins pour son identité sexuelle (qui ne regarde que lui) que pour ses avancées théologiques. Entre autres études, son livre « Connaître Jésus », Artège, 2019) a ouvert en moi, plutôt mécréant, des perspectives fondatrices revitalisantes. Car en disciple de René Girard, Alison renouvelle en profondeur la compréhension du sacrifice du Christ, victime consentante qui pardonne, et l’auteur montre comment l’expérience pascale peut bouleverser notre existence. Car « ce qui est désormais offert par Jésus, c’est, pour l’humanité, la possibilité de fonder une société nouvelle qui n’ait pas besoin de victimes ni d’exclusions ni de lynchage pour construire le sentiment de son identité. » Bref, l’authentique identité chrétienne, ce n’est pas le pedigree sexuel, mais bien l’identification, au quotidien et au fil des jours, à la victime qui pardonne. Du temps où j’étais prêtre (pas encore assumé gay !), dans la cité où officia un prélat plus tard déclaré saint, une de ses phrases souvent méditée est devenue mon mantra pour le reste de ma vie. Elle rejoint la paisible assurance du théologien britannique : pour lui comme pour beaucoup, un temps viendra où l’homosexualité — simple variante de la sexualité humaine, certes minoritaire, mais non pathologique ni peccamineuse — n’empêchera plus personne dans l’Église d’être frère et sœur, fille et fils de Dieu. Car l’ancienne parole aura enfin été écoutée, intériorisée, appliquée dans une grande joie émancipatrice : « La peur fait plus de mal que le mal. » (François de Sales)
Michel Bellin
« Et je ferai la mort
comme je fais l’amour :
les yeux ouverts. »
(ARAGON)