* Les relations sexuelles / d’où vient notre morale ?

Les Relations Sexuelles – D’où vient notre morale?
Mgr Geoffrey James Robinson, évêque catholique d’Australie


La thèse de cet article de 2014 est en trois parties:
1. Il n’y a aucun espoir de changer l’enseignement de l’Église Catholique au sujet des actes homosexuels sans un changement dans son enseignement sur les actes hétérosexuels;
2. Il y a un besoin urgent de changer l’enseignement de l’Église sur les actes hétérosexuels;
3. Si ce changement a lieu, il aura nécessairement un effet sur l’enseignement concernant les actes homosexuels.

Première Partie
Il n’y a aucun espoir de changer l’enseignement de l’Église Catholique au sujet des actes homosexuels sans un changement dans son enseignement sur les actes hétérosexuels.
L’argument de l’Église Catholique, constamment répété, est que Dieu a créé la sexualité humaine pour deux raisons : comme un moyen d’exprimer et de renforcer l’amour dans un couple (l’aspect unitif) et comme le moyen par lequel une nouvelle vie humaine est appelée à l’existence (l’aspect procréatif). L’argument continue en disant que la sexualité est exercée «selon la nature» seulement si elle sert ces deux buts définis par Dieu, et que par ailleurs ces deux buts ne sont vraiment respectés qu’à l’intérieur du mariage, et alors seulement lorsque les rapports sont ouverts à une nouvelle vie, de manière que toute autre utilisation des capacités sexuelles est moralement inacceptable.

 

Si le point de départ est que tout acte sexuel doit être à la fois unitif et procréatif, il n’y a aucune possibilité d’approuver les actes homosexuels. Le Catéchisme de l’Église Catholique traite la question d’une manière expéditive: «(Les actes
homosexuels) sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une véritable complémentarité affective et sexuelle.»
Si tel est le point de départ, il n’y a guère plus à dire. Il n’y a aucune possibilité de changement concernant les actes homosexuels dans les limites de cet enseignement, et il est futile de le rechercher, car les actes homosexuels ne possèdent pas l’élément procréatif tel que l’Église l’entend. Si l’enseignement sur les actes homosexuels devaient changer, c’est l’enseignement de base concernant tous les actes sexuels qui doit d’abord évoluer.

 

Deuxième partie
Il y a un besoin urgent de changer l’enseignement de l’Église sur les actes hétérosexuels.
Je propose trois raisons pour lesquelles cet enseignement doit changer.
Premier argument
En premier lieu, l’enseignement de l’Église maintient que l’essence du péché sexuel est qu’il est une offense directe contre Dieu car, sans considérer le mal qui pourrait être commis contre un être humain, il s’agit d’une transgression contre l’ordre naturel et divin établi par Dieu. Il est soutenu que Dieu a inséré dans la nature elle-même l’exigence que tout acte sexuel humain soit à la fois unitif et procréatif. Si l’acte ne comporte pas ces deux éléments, il est contre la «nature» telle que Dieu l’a établie. Ceci soulève deux questions graves, l’une concernant la nature et l’autre concernant Dieu.
Par rapport à la nature: l’argument de l’Église ne devrait-il pas indiquer quelques autres exemples de domaines où Dieu a donné un but divin à quelque entité créée, de telle façon qu’il serait un péché contre Dieu d’utiliser cette entité d’une autre manière ? Ou est-ce le seul cas où Dieu a donné un but divin à une entité créée ? S’il y a d’autres cas, pourquoi ne sont-ils pas listés dans les documents de l’Église ? Je me souviens avoir lu il y a longtemps un argument humoristique selon lequel le but naturel que Dieu a donné à nos yeux est de voir en avant, et par conséquent utiliser un rétroviseur dans une voiture serait contre nature et ainsi immoral. Même si cet argument est humoristique, ne soulève-t-il pas des questions sur ce que nous appelons «nature» et à quel point il est difficile de tirer des conséquences morales d’une nature prétendument établie par Dieu ?
Par rapport à Dieu : il était courant de dire autrefois que frapper un roi était bien plus grave que frapper un roturier, et de la même façon, une offense contre Dieu était énormément plus grave qu’une offense contre un être humain. De ce point de vue, les péchés les plus graves étaient ceux qui touchaient Dieu directement. Dans la pratique, cela s’appliquait surtout aux péchés de blasphème et aux péchés sexuels. Cette attitude permet d’expliquer pourquoi, dans l’Église Catholique, la morale sexuelle a depuis longtemps reçu une importance exagérée.
Lorsqu’une personne s’offusque de la moindre petite remarque, nous avons tendance à considérer cette personne comme «petite», alors qu’une personne qui peut ignorer la plupart des commentaires négatifs est une «grande» personne. Ma lecture de la Bible m’amène à croire en un Dieu immensément grand qui ne s’offusque pas facilement devant des offenses directes. Je crois par exemple, que Dieu considère la plupart de ce qui s’appelle «blasphème» comme une réaction humaine compréhensible devant le mal et la souffrance dans ce monde, ressentis comme des injustices. Je ne crois pas que Dieu s’offusque le moins du monde devant des parents qui viennent de perdre un enfant et qui dirigent une colère terrible contre Dieu.
Dans le même esprit, je me demande si Dieu va s’offusquer devant une pensée ou un acte de caractère sexuel considéré uniquement comme une offense contre l’ordre établi par Dieu, sans que son effet sur d’autres personnes, sur soi-même ou sur la communauté rentre en ligne de compte.
La parabole de l’enfant prodigue peut nous aider ici. Le fils cadet avait reçu la part entière de la propriété qui devait lui revenir et il l’avait gaspillée. Il n’avait plus aucun droit à la moindre parcelle du patrimoine, car tout ce qui restait revenait en droit au fils aîné («Tu es toujours avec moi et tout ce que j’ai est à toi», v. 31). Le père respectait les droits de son fils aîné et ne voulait rien lui enlever. Par contre, en ce qui concerne la peine que le fils prodigue avait causée à son père en l’abandonnant et en gaspillant les biens qu’il avait gagnés par un dur travail, le père l’a écartée d’un revers de main par amour pour son fils et il a insisté pour qu’il soit accueilli et qu’il soit traité comme un fils plutôt que comme un serviteur. Le message est sûrement que Dieu se préoccupe des droits des êtres humains et de ce qu’ils font l’un à l’autre, mais que son amour et son pardon sont assez grands pour qu’il ne se mette pas en colère devant les offenses directes contre Dieu. On peut se demander si le Dieu représenté dans cette parabole condamnerait quelqu’un à un châtiment éternel parce qu’il n’arriverait pas à mettre les éléments unitif et procréatif dans l’harmonie perçue comme idéale au milieu de toute la turbulence de la sexualité.


Depuis des siècles, l’Église a enseigné que tout péché sexuel est un péché mortel. Selon cet enseignement, même prendre un plaisir délibéré d’une pensée sexuelle, pendant un instant aussi court soit-il, est un péché mortel. Cet enseignement n’est plus proclamé aujourd’hui aussi fort que naguère, mais il a été proclamé par de nombreux papes, il n’a jamais été retiré et il a affecté des personnes sans nombre.
Cet enseignement a favorisé la croyance en un Dieu incroyablement colérique, car ce Dieu condamnerait une personne à une éternité en enfer pour un seul moment non repenti de plaisir délibéré dérivant du désir sexuel. Personnellement, je n’arrive pas à croire en un tel Dieu. Même, je rejette fermement un tel Dieu.
Il semble donc qu’il y a de graves risques à édifier l’enseignement moral de l’Église concernant la sexualité sur le concept des offenses directes contre Dieu.
Il faut ajouter, à la lumière des révélations concernant les abus sexuels, que cette attitude morale a posé de graves problèmes, car bien trop d’autorités ecclésiastiques ont vu l’offense essentiellement en termes d’une offense sexuelle contre Dieu, à traiter selon les critères associés à de telles offenses : repentir, confession, absolution, pardon total de la part de Dieu et retour au statu quo. Ceci a encouragé la pratique de déplacer les fautifs de paroisse en paroisse. Il ne pourrait y avoir de réponse adéquate aux abus tant que les gens se préoccupent plus des offenses sexuelles contre Dieu plutôt que du mal fait aux victimes.


Deuxième argument
La deuxième raison pour changer est que les énoncés de l’Église semblent être plutôt des affirmations que des arguments. Personne ne conteste le fait que le rapport sexuel est le moyen normal de créer une nouvelle vie et qu’il peut être une force puissante pour aider les couples à exprimer et à renforcer leur amour. Les deux éléments, l’unitif et le procréatif, sont ainsi des aspects fondamentaux du mariage en tant qu’institution pour l’ensemble du genre humain. Mais sont-ils des éléments essentiels de chaque mariage individuel, quelles que soient les circonstances, par exemple pour le couple à qui les experts médicaux annoncent que tout enfant qu’ils auraient, souffrirait d’une maladie héréditaire grave et invalidante ? Sont-ce des éléments essentiels pour tout acte individuel de rapport sexuel ? Pour quelle raison ?
Il y a toujours des problèmes quand des êtres humains prétendent connaître les pensées de Dieu. Ainsi l’énoncé que c’est la volonté de Dieu, son exigence même, que les deux aspects, unitif et procréatif, soient nécessairement présents à chaque occasion d’un rapport sexuel, est-ce un fait démontré ou une simple affirmation ? S’il s’agit d’un fait démontré, où est la démonstration ? Pourquoi les documents de l’Église ne présentent-ils pas de telles démonstrations ? Ne faudrait-il pas que de telles démonstrations incorporent l’expérience de millions de personnes qui s’efforcent de combiner la sexualité, l’amour et la procréation d’une nouvelle vie au milieu des turbulences de la sexualité humaine et des complexités de la vie humaine ? N’est-on pas en train de confondre un idéal avec une réalité ?
S’il ne s’agit que d’une affirmation, y a-t-il une raison pour ne pas appliquer le principe de logique : ce qui est librement affirmé peut être librement rejeté ? S’il ne s’agit que d’une affirmation, y a-t-il de l’importance à savoir qui affirme et à quelle fréquence ? Où sont les arguments en faveur de l’affirmation qui pourraient convaincre une conscience ouverte et honnête ?

 

Troisième argument
Le troisième argument est que l’enseignement de l’Église est bien trop souvent construit sur une considération de la nature (vue comme établie par Dieu) des actes physiques en eux-mêmes plutôt que de la manière dont ces actes touchent les personnes et leurs relations. Et on continue de faire comme ça à un moment où la tendance générale de la théologie morale est dans le sens opposé. Je reviendrai sur ce point.
Il nous reste le fait que l’Église Catholique propose un enseignement que seule une minorité accepte, surtout chez les jeunes. La société occidentale dans son ensemble a rejeté cet enseignement et a adopté une position qui est à bien des égards l’extrême opposé. Peu de gens, apparemment, continue à chercher un terrain moyen entre les deux extrêmes. C’est ce terrain moyen que je voudrais maintenant explorer.

Le terrain moyen
Si nous abandonnons une éthique qui voit la sexualité en termes d’une offense directe contre Dieu, qui souligne les actes physiques individuels plutôt que les personnes et leurs relations, et qui s’érige sur une affirmation répétée plus que sur un argument, où devons-nous aller ? Je suggère de nous diriger vers une éthique qui, premièrement, situe l’offense contre Dieu non dans l’acte sexuel en lui-même, mais dans le mal infligé aux êtres humains ; deuxièmement, qui parle de personnes et de relations plutôt que d’actes physiques et troisièmement, qui construit son argument sur ces deux fondements plutôt que sur des affirmations non démontrées.
S’il est impossible de construire toute une éthique sexuelle sur la base des offenses directes contre Dieu, tout semble indiquer que Dieu se préoccupe intensément des êtres humains et qu’il réprouve tout le mal qu’on leur inflige, que ce soit par le désir sexuel ou par tout autre moyen. «Quiconque entraîne la chute d’un seul de ces petits qui croient, il vaut mieux pour lui qu’on lui attache au cou une grosse meule, et qu’on le jette à la mer.» (Mc 9,42) «Alors eux aussi répondront : ‘Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou en prison, sans venir t’assister ?’ Alors il leur répondra : ‘En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.’» (Mt 25,44-45) Dans ces deux citations, Jésus s’identifie avec les personnes les plus faibles de la communauté, et il nous dit que tout mal qu’on leur inflige est un mal qui lui est infligé à lui.
Je suggère donc que nous devons regarder la morale sexuelle en termes du bien ou du mal causé à des personnes et aux relations entre eux plutôt qu’en termes d’une offense directe contre Dieu.
À partir de là, peut-on dire que le plaisir sexuel, comme tout autre plaisir, est en soi moralement neutre, ni bon ni mauvais ? Ce sont plutôt les circonstances qui affectent les personnes et les relations qui font que ce plaisir soit bon ou mauvais, par exemple, un plaisir bon pour un couple marié qui cherche à se réconcilier après une dispute, un plaisir mauvais pour un homme qui commet un viol ?

 

L’Eglise contre la Société Moderne
Pour aller plus loin, si on creuse plus à fond, au-delà des enseignements spécifiques de l’Église Catholique sur la sexualité, pour arriver aux éléments fondamentaux de sa foi, il me semble qu’il y a une question de fond sur laquelle l’Église et la société occidentale moderne sont en train de se diriger dans des sens opposés.
L’Église maintient que l’amour est l’aspiration la plus profonde du coeur humain et que la sexualité est une expression éminente de l’amour, et qu’il faut, par conséquent, faire tout son possible pour que la sexualité garde sa capacité d’exprimer l’amour le plus profondément possible. Il faut éviter que la sexualité se banalise à tel point, pour soi-même individuellement ou pour la communauté dans son ensemble, qu’elle perde sa capacité d’exprimer l’amour le plus profond. La société moderne, par contre, devient de plus en plus tolérante envers une activité sexuelle désinvolte sans lien avec l’amour ou une relation.
En termes plus simples, l’Église dit que, puisque l’amour est essentiel et puisque la sexualité est si capitale comme moyen d’exprimer l’amour, la sexualité est toujours une question grave, mais la société moderne semble dire de plus en plus que la sexualité en soi n’a rien de grave.
Sur ce point essentiel, je me sens instinctivement plus en accord avec la position de l’Église qu’avec celle de la société moderne. Paradoxalement, ce sont les effets de l’abus sexuel des mineurs, plus que toute autre chose, qui m’ont convaincu que la sexualité n’est pas sans gravité.

«Ne fais pas de mal» contre «Aime ton prochain».

Comme la sexualité est pour moi une chose grave, je n’arrive pas simplement à la conclusion que toute activité sexuelle est bonne tant qu’elle ne fait mal à personne. Je ne voudrais jamais voir la chose en des termes si simples, car j’ai vu trop de mal provoqué par cette attitude.
Elle s’exprime en termes négatifs (Ne fais pas de mal) et inévitablement implique un risque sérieux d’appliquer la stratégie du bord de l’abîme. C’est-à-dire que, sans penser beaucoup au bien-être de l’autre personne concernée, on peut rechercher son propre plaisir et, en le faisant, s’avancer jusqu’à la limite extrême où commence la souffrance de l’autre. Dans un domaine aussi mouvant que celui-ci, de nombreuses personnes qui se guident selon un tel principe vont allègrement dépasser cette limite.
Jésus disait toujours «Aime ton prochain» et ceci implique plus que le fait négatif de ne pas faire du mal. Cela implique un respect sincère pour l’autre et un désir et une recherche effective du bien-être de l’autre. La différence essentielle entre ces deux attitudes est que  «Ne fais pas de mal» peut se concentrer sur soi-même, alors que  «Aime ton prochain» se focalise sur le prochain. Une éthique chrétienne doit, au minimum, s’exprimer en des termes positifs. Ce n’est que sur cette base qui respecte et qui recherche effectivement le bien du prochain que nous pouvons être sûrs d’aboutir à une éthique vraiment chrétienne. Une telle confiance serait impossible sur la base du principe négatif de «Ne fais pas de mal».
Dans cette recherche d’une éthique, nous devons prendre très au sérieux le mal que peut provoquer le désir sexuel et nous devons considérer avec soin ces circonstances qui peuvent rendre immorale la recherche du plaisir sexuel parce que s’y retrouve un mal fait aux autres, à soi-même ou à la communauté. Quelques-uns de ces facteurs sont : la violence, physique ou psychique, la duplicité, même envers soi, le mal fait à une tierce personne (par exemple, un conjoint), l’utilisation d’une personne pour sa propre gratification, la réduction d’une personne à un objet sexuel, la disjonction entre sexualité et amour qui fait que la sexualité perd sa capacité d’exprimer les profondeurs de l’amour, la banalisation de la sexualité qui lui fait perdre son sérieux, la recherche d’une satisfaction immédiate qui restreint la capacité de répondre aux désirs plus profonds du coeur humain, gâcher la possibilité d’un engagement permanent, le non respect du lien qui existe entre la sexualité et une vie nouvelle, le non respect du besoin de construire une relation avec patience et sensibilité, le non respect du bien commun de toute la communauté.
On voit de tout ceci que j’ai de grandes difficultés avec l’idée du «tout permis». En réagissant contre un extrême, il y a toujours le danger de partir vers l’extrême opposé. Il me semble que c’est ce que la société moderne a fait avec la sexualité.

 

Une éthique chrétienne
Pour mettre plus au clair l’idée d’une éthique spécifiquement chrétienne, je suggère que nous regardions deux points de la Bible.
D’abord, en considérant le Décalogue, le commandement concernant l’adultère doit être lu dans le contexte des trois commandements qui l’entourent. Quatre commandements successifs traitent du respect envers autrui et ils précisent quatre éléments essentiels. Si je te respecte, je dois respecter : ta vie et ton intégrité physique (ne tue pas), les relations qui donnent sens à ta vie (ne commets pas d’adultère), tes biens matériels (ne vole pas) et ta bonne réputation (ne fais pas de faux témoignage). Il me semble que tout ce qui est essentiel dans les relations humaines se retrouve dans une de ces quatre catégories, alors si j’ai un véritable respect pour ces quatre éléments, j’ai un véritable respect pour toi. Par contre, si je maltraite l’un de ces quatre éléments, je ne peux plus prétendre que je te respecte.
Dans chaque cas, d’ailleurs, le plus fort contient le moins fort. Ainsi, si je ne dois pas tuer, je ne dois pas blesser non plus. Si je ne dois pas te blesser physiquement, je ne dois pas non plus te blesser psychologiquement, moralement ou autrement. Si je dois respecter la relation centrale de ta vie, le mariage, en me refusant à l’adultère avec ton conjoint, je dois également éviter de porter atteinte à ton mariage d’une autre façon et je dois respecter toutes les relations qui donnent sens à ta vie.
À partir de ce contexte des quatre commandements pris ensemble, il s’ensuit que le commandement concernant l’adultère n’est qu’indirectement une question de péché sexuel. De manière directe, il se préoccupe du respect des relations.
Autrement dit, il me semble que la portée du commandement concernant l’adultère est la suivante : «Ce sont les relations en général qui donnent sens, chaleur et direction à la vie humaine, surtout les relations de famille, et d’une manière spéciale la relation d’engagement avec un partenaire de vie. Alors si tu as un véritable respect pour autrui, ne fais aucun mal à ses relations, d’aucune façon, et surtout pas par l’adultère».

 

Deuxièmement, Jésus a présenté le principe «Aime ton prochain» comme la base de tout dans la vie chrétienne. Ceci signifie que, comme tout autre acte dans la vie d’un chrétien, un acte sexuel doit se fonder sur un véritable désir du bien global de l’autre, plutôt que sur ses propres intérêts.
Il me semble donc que les questions centrales concernant la morale sexuelle sont:
• Faisons-nous un progrès vers une éthique véritablement chrétienne, si nous lisons le commandement sur l’adultère dans le contexte des trois autres qui l’entourent et si nous fondons notre activité sexuelle sur un profond respect des relations qui donnent un sens, un but, une direction à la vie humaine et sur le fait d’aimer notre prochain comme nous voudrions que notre prochain nous aime ?
• Dans ce contexte, pouvons-nous nous demander si un acte sexuel est moralement correct lorsque, positivement, il se fonde sur un véritable amour du prochain, c’est-à-dire un véritable désir de ce qui est bien pour l’autre personne, plutôt que sur un simple intérêt personnel ? et négativement, lorsqu’il ne comporte pas d’éléments nuisibles tels qu’un tort à une tierce personne, quelque trace de coercition ou de duperie, ou un affaiblissement de la capacité du sexe à exprimer l’amour ?
• Reste la question des cas où de telles circonstances pourraient être réunies, et si et dans quelle mesure elles pourraient être réunies hors mariage : peut-on proposer une telle question pour discussion et débat dans la communauté de l’Église, dans la société en général et par chaque individu pour une décision responsable devant Dieu, devant les autres et dans son for intérieur ?
De nombreuses personnes feraient valoir que ce que j’ai proposé ne donnerait pas une règle claire et simple aux gens. Mais Dieu ne nous a jamais promis que tout dans notre vie morale serait simple et clair. La morale n’est pas qu’une question de faire des choses justes ; il s’agit également de lutter pour savoir ce qui est juste. Il ne s’agit pas simplement de faire ce que fait tout le monde autour de moi; il s’agit de prendre une véritable responsabilité personnelle pour tout ce que je fais. Et il s’agit d’être profondément sensible aux besoins et aux vulnérabilités des personnes avec qui j’interagis.
Je crois que normalement il est plus probable qu’un acte sexuel réponde aux exigences que j’ai proposées à l’intérieur d’une relation engagée et permanente, telle que le mariage, plutôt qu’en dehors d’une telle relation. Mais je serais réticent d’en arriver à la conclusion simple, qu’à l’intérieur du mariage tout va bien, en dehors du mariage tout va mal. Les complexités de la nature humaine et la turbulence de la sexualité ne permettent pas de réponses aussi simples.


Troisième Partie
Si ce changement (dans l’enseignement concernant les actes hétérosexuels) devait se produire, il aurait des répercussions sur l’enseignement concernant les actes homosexuels.
Prenons ce que j’ai dit sur les actes hétérosexuels et appliquons-le aux actes homosexuels, il s’ensuivra plusieurs choses.
Négativement, je ne peux accepter pour les actes homosexuels, pas plus que pour les actes hétérosexuels, l’idée que “tout est permis”, ou que la moralité puisse se fonder sur l’intérêt personnel ou sur la stratégie du bord de l’abîme qu’implique l’idée de “ne pas faire de mal” à une autre personne. J’exigerais que les personnes homosexuelles soient aussi conscientes que les hétérosexuelles de la facilité avec laquelle des pensées au sujet du sexe peuvent se déformer et donner lieu à un mal. Je ne pourrais approuver un style de vie de recherche délibérée de nombreux partenaires sexuels passagers, pas plus que je ne l’approuve chez les hétérosexuels, car je ne peux pas voir comment ceci pourrait être compatible avec tout ce que j’ai dit ici.
Positivement, il s’ensuivrait que les actes sexuels, hétérosexuels ou homosexuels, ne sont nullement, en tant que tels, offensifs à Dieu. Il signifierait que les actes sexuels sont agréables à Dieu lorsqu’ils aident à construire les personnes et les relations, désagréables à Dieu quand ils sont nocifs à des personnes et des relations. Comme je cherche une éthique spécifiquement chrétienne, j’exigerais toujours que ces actes s’enracinent dans un véritable amour ou bienveillance envers l’autre plutôt que dans un intérêt ou un assouvissement personnel.
Si l’enseignement de l’Église se fondait sur une considération de personnes et relations plutôt que sur ce qui est “selon la nature” dans l’acte physique, le statut des actes homosexuels se trouverait dans tout un monde nouveau et devrait être repensé de fond en comble.
En bref, si vous voulez changer l’enseignement de l’Église concernant les actes homosexuels, commencez par oeuvrer pour un changement de son enseignement sur tout acte sexuel.

Les Écritures
On ne peut pas, cependant, en rester là, car il faut aborder un autre aspect d’importance massive : ce que disent les Écritures. Sans aucun doute, il y a des passages de la Bible qui condamnent les actes homosexuels. En fait il y en a cinq : deux dans le Premier Testament (Gn 19; Lv 18,22) et trois dans le Nouveau (Rm 1, 26-27; 1 Co 6,9; 1 Tm 1, 10). Bien qu’il y ait des difficultés dans l’interprétation de tous les cinq, on ne peut pas simplement les écarter d’un revers de main. Il serait au-delà de ma compétence personnelle et dépasserait les limites de cet article d’étudier ces textes dans le détail, mais je peux relever trois points essentiels qui me sont apparus.
En premier lieu, nous devons faire attention au langage. Le Premier Testament traite l’homosexualité d’abomination, mais ce terme paraît 138 fois, appliqué à une grande variété de choses. Si l’homosexualité est une abomination, manger des crevettes l’est également. Comment prétendre que l’homosexualité est et sera toujours une abomination, alors que manger des crevettes ne l’est pas ? Plutôt que d’adopter la définition du mot abomination que l’on trouve dans le dictionnaire, il faut le voir comme un terme technique de la loi de l’Israël ancien qui provient d’idées concernant ce qui est rituellement pur et impur.

 

Le deuxième point est qu’à l’époque où ces documents ont été écrits, il n’y avait pas la compréhension de l’homosexualité que nous possédons aujourd’hui. On croyait apparemment que toutes les personnes étaient en fait hétérosexuelles. Les actes homosexuels étaient vus ainsi comme un choix délibéré d’hétérosexuels qui pratiquaient des actes homosexuels. Étant donné les peurs que l’homosexualité peut soulever chez des hétérosexuels, on peut facilement comprendre pourquoi quelqu’un comme St Paul ne pouvait comprendre l’idée que des hétérosexuels puissent pratiquer l’homosexualité, s’en trouvait fortement dérangé, considérait ces actes “contre nature” et les a condamnés. Tous les passages des Écritures concernant les actes homosexuels doivent se lire sur ce fond d’un manque de compréhension de l’homosexualité. Si l’homosexualité était condamnée, qu’est-ce qui dans l’esprit des auteurs était condamné ?  tout acte homosexuel en lui-même, indépendamment des circonstances ? ou le fait qu’une personne hétérosexuelle puisse accomplir un acte homosexuel ?


Le troisième point est que la Bible est surtout l’histoire d’un voyage, le voyage spirituel du peuple d’Israël. Elle a ainsi un début, un milieu et une fin. Si Jésus représente la fin du voyage, on peut voir ses débuts dans un personnage comme Lamek au chapitre 4 de la Genèse, qui exige une vengeance de soixante-dix-sept fois pour tout tort qu’il aurait subi. La Bible n’est pas une collection de déclarations parfaites de vérités éternelles; elle reflète chaque étape de ce voyage, y compris de nombreuses paroles et actions qui ne sont absolument pas destinées à notre imitation. Les déclarations concernant l’homosexualité sont à situer dans le contexte de ce voyage. Par exemple, la déclaration sur l’homosexualité dans Lévitique 18, 22 provient d’une éthique de la pureté que Jésus plus tard allait rejeter. Il ne peut pas ainsi compter comme le mot de la fin de Dieu sur ce sujet.
Il faut également se rappeler que, même si Paul a écrit après Jésus, c’est Jésus et non Paul qui est la fin du voyage. Il est légitime de chercher l’origine des idées de Paul pour décider si elles reflètent l’esprit de Jésus ou plutôt des compréhensions plus anciennes.
Si nous étudions le mariage dans la Bible, nous trouvons bien des passages qui expriment l’idée que la femme est la propriété de son mari et également des passages qui dénigrent les femmes. Il faut un regard attentif pour trouver les endroits où s’exprime une compréhension plus raffinée, plus exaltée du mariage. Il s’avère alors que ces passages supérieurs se rattachent aux trois domaines essentiels : la création, l’alliance et la rédemption, les concepts clés de la Bible. Nous pouvons nous laisser guider avec confiance par ces passages supérieurs, même si pour cela il nous faudra écarter une plus grande quantité de citations bibliques qui reflètent des conceptions archaïques des femmes comme propriété. Si nous pouvons faire cela avec confiance en ce qui concerne le mariage, n’est-il pas raisonnable de procéder de la même manière en ce qui concerne l’homosexualité?
Il y a une éthique de la pureté dans le Premier Testament qui, entre autres, condamne les actes homosexuels. Plus tard, Jésus a rejeté cette éthique de la pureté, mais elle a continué à avoir une influence dans le monde chrétien. Ainsi lorsque l’Église a commencé à traiter de la sexualité en termes d’actes naturels et contre nature, l’éthique de la pureté a fortement influencé son attitude envers les actes homosexuels.
Mon impression prépondérante est que, plutôt que de faire des déclarations mûrement réfléchies sur l’homosexualité, l’Église a été fortement influencée par des idées du Premier Testament, et elle n’a pas vu à quel point la position de Jésus sur les relations avait été radicale.
Je suis convaincu qu’il doit y avoir maintenant une nouvelle étude de tout ce qui se rapporte à la sexualité pour tenter de découvrir et exprimer une acceptable approche moyenne entre l’ancien enseignement de l’Église et les attitudes courantes dans la société occidentale. Je suis convaincu qu’une telle étude, menée avec une totale honnêteté et intégrité, aurait une influence profonde sur l’enseignement de l’Église concernant toutes les relations sexuelles, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles.

Ecrit transmis par GéO,

membre de la fraternité Pêcheurs d’hommes