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* Témoignage de « Baby »

  

             Il y a une bonne dizaine d’années que je connais le groupe « Pêcheurs d’hommes » et que je participe aux deux journées à Paris et à la session annuelle. C’est un ami prêtre, homosexuel comme moi, qui m’en avait parlé à plusieurs reprises comme d’un espace de parole qui lui avait fait du bien. Il a fallu que je vive une relation difficile avec un garçon pour que je prenne au sérieux la proposition d’aller à une session de « Pêcheurs d’hommes ». J’étais perdu, fatigué, doutant de moi-même, ayant besoin de vider mon sac ! Je saisis donc au vol, comme une chance, de me rendre à la session d’été ! Sur la route, à plusieurs reprises, j’ai failli faire demi-tour. Toutes sortes de questions m’envahissaient. D’une part : « Qui vais-je rencontrer ? Ne serai-je pas en décalage par rapport aux options des autres ? » » et puis « Est-ce bien utile ? Ne puis-je pas garder ce que je suis pour moi et me débrouiller par moi-même comme je l’ai fait jusqu’à maintenant ? » Un immense mélange intérieur, un besoin de me poser et d’être accueilli tel que je suis (j’ai tellement souffert dans mon enfance et ma jeunesse d’être traité de pédé… il n’y a que lorsque je suis entré au séminaire que je n’ai senti aucun regard de jugement !), une attente de rencontrer d’autres prêtres comme moi et d’entendre la manière dont ils assument leur ministère et leur homosexualité, un grand désir d’y voir plus clair dans ma vie…

              Arrivé sur place, j’ai reçu un accueil bienveillant que je ne pourrai pas oublier. Tout de suite à l’aise ! Des échanges respectueux du chemin de chacun avec de grands temps d’écoute très fraternelle : personne n’étant considéré comme exemplaire ou disqualifié. Une sorte d’oasis, avec des moments de détente, de réflexion personnelle, de prière et de célébration eucharistique. J’y ai fait l’expérience de la différence alors même que nous partagions le fait d’être prêtres et homosexuels. Certes, nos provenances des quatre coins de la France, nos âges aussi y étaient pour quelque chose, mais des sensibilités pastorales liées à notre histoire et nos options, des prêtres en plein ministère paroissial et même certains étant proches de ce que d’aucuns appellent « la hiérarchie », d’autres retirés du ministère ou en situation de retraite ; et puis la manière de se situer comme homosexuel : vivant des relations suivies ou épisodiques, certains étant en couples et d’autres non, beaucoup portant de lourds fardeaux, avec des blessures plus ou moins profondes, certains trouvant une forme d’équilibre, d’autres en attente et en question ! A vrai dire, beaucoup de choses, au regard de ce qui a du prix à mes yeux et de mon chemin personnel, auraient pu mettre un frein au dialogue ! Peut-être parce que j’étais en souffrance, j’ai reçu les autres avec la richesse et les pesanteurs de leur vie, comme une grâce de conversion personnelle. J’étais venu pour parler de moi et peut-être faire valoir des convictions, retrouver la sérénité et les rencontres et partages de cette session m’ont ouvert à davantage d’accueil de la différence à l’intérieur d’une même condition de vie partagée. J’y ai appris l’écoute et l’idée que ma manière de m’assumer n’est pas un modèle. J’y ai fait quelques pas sur un chemin d’humilité pas facile, car la tentation de « l’autojustification » comme de « la revendication » nous guette tous, surtout quand on prend conscience de ce qui a pu nous enchaîner et que l’on aspire à la liberté, voire à faire savoir ce que l’on est.

             Si « Pêcheurs d’hommes » m’a dépaysé en m’ouvrant aux chemins des autres dans la bienveillance et aussi une forme de compassion pour ceux qui « ne s’en sortent pas », ce groupe m’a aidé aussi à davantage d’estime de moi-même. Estime que certaines expériences relationnelles avec des garçons m’avaient fait perdre, sentiment de vivre des aventures successives qui ne construisent rien, mais aussi manque d’estime de moi-même en raison de la discipline officielle de l’Eglise avec laquelle j’avais du mal à composer. Je pouvais toujours m’accuser en confession d’avoir des relations « interdites », je recommençais, sachant que c’est une illusion de penser qu’on en guérit, et je n’envisageais nullement de quitter le ministère qui me passionnait, qui m’apportait tant même si les temps sont durs ! Comment faire cohabiter ces deux réalités qui étaient indivisibles en moi ? Les échanges, parfois animés, lors de nos rencontres « Pêcheurs d’hommes », et la volonté de m’enraciner toujours plus spirituellement dans l’Evangile et le témoignage d’hommes et de femmes ayant fait l’expérience de leur fragilité, de leurs « échardes » comme d’une grâce, m’a conduit non seulement à davantage de paix intérieure mais à découvrir que mon homosexualité pouvait apporter quelque chose de bon à mon ministère.

Mon homosexualité n’est pas un titre de gloire mais travaille en moi une sensibilité pastorale qui me conduit à travailler pour une Eglise de miséricorde. J’ai pris conscience aussi que trop de prêtres niant leurs tendances ou pratiques homosexuelles en viennent parfois à des comportements rigides et froids dans leur ministère, voire à avoir des propos homophobes. Je pense souvent à tous ces confrères qui « rament », isolés et parfois désespérés, sans quelqu’un à qui ils peuvent « tout dire », sans jugement !

Dans le groupe « Pêcheurs d’hommes », en étant moi-même, avec mes ombres et mes lumières, sous le regard des autres et sans inquisition, je me place aussi sous le regard de Dieu ! « Pêcheurs d’hommes » contribue à apprivoiser ce que je suis pour tendre vers l’unité intérieure. Cette unité intérieure ne consiste pas à ce que tout soit « conforme » ou « en ordre ». C’est une marche sur un fil, comme un funambule. Je n’attends pas de trouver dans ce groupe, des réponses toutes faites ou encore que l’on me dise que j’ai raison, mais des pistes pour mettre un peu de clarté dans ce qui en moi est confus, des appels qui me poussent à grandir dans l’amour, la foi et l’espérance.  Pour moi, « Pêcheurs d’hommes » est fait « d’hommes pécheurs », non parce qu’ils sont homosexuels mais parce que personne ne peut prétendre assumer toute sa vie dans la clarté de l’Evangile ! « Pêcheurs d’hommes » m’aident ainsi à sortir de l’autosuffisance qui peut me guetter et à me situer dans une dynamique de progrès.

     Je l’ai évoqué : nos rencontres sont de vrais cadeaux, surtout quand quelqu’un qui porte une épreuve la partage mais aussi quand d’autres apportent des bonnes nouvelles ! Nos rencontres sont d’autant plus un cadeau lorsque des confrères osent rejoindre le groupe et sortent ainsi de leur isolement ! Joie de voir certains en état de « résurrection », retrouvant le goût de vivre, d’aimer, de Dieu et même le chemin d’une plus grande communion en Eglise. C’est donc une fraternité qui se tisse au fil du temps. Je l’apprécie très fort. Elle se vit au long de l’année par des coups de fil, des mails, mais aussi des visites de l’un chez l’autre, des temps de vacances partagés pour certains. Les rencontres « officielles » sont très profitables mais entre-temps, il faut vivre ! Nous sommes plusieurs à éprouver la nécessité de se soutenir ! J’ai bénéficié à plusieurs reprises d’un soutien précieux de plusieurs du groupe alors que je « coulais » ou n’y voyais pas clair ! J’ai tenté aussi de me faire proche lorsqu’il y avait urgence. Evidemment, je n’entretiens pas les mêmes contacts avec tous les membres de « Pêcheurs d’hommes », ce qui ne dévalue rien des échanges avec tous. Ce sont des affinités qui créent une forme de complicité fraternelle et j’en suis reconnaissant à chacun.

       Voilà quelques aspects de mes découvertes de « Pêcheurs d’hommes ». Ce groupe n’est pas parfait puisque j’en suis membre ! Mais vous l’aurez bien compris : j’ai reçu «Pêcheurs d’hommes » comme la main tendue du Christ qui accueille, qui relève, qui accompagne, qui fait confiance. 

Le 26 avril 2017, « Baby », pêcheur d’hommes

* Dignité / Indignité : quel contraste !

Dignité/Indignité : quel contraste !

 

Mardi 25 avril : cour de la préfecture de Police à Paris.

Etienne prononce une allocution de grande qualité en hommage à son compagnon Xavier, devant le chef de l’Etat, les élus, les collègues de Xavier devant la nation entière.  « Vous n’aurez pas ma haine.” Cette haine, Xavier, je ne l’ai pas parce qu’elle ne te ressemble pas, parce qu’elle ne correspond en rien à ce qui faisait battre ton cœur, ni à ce qui avait fait de toi un gendarme, puis un gardien de la paix …..Je voudrais dire à tous tes camarades combien je suis proche d’eux. Je voudrais dire à ta hiérarchie policière combien j’ai vu la sincérité dans ses yeux et l’humanité dans ses gestes. Je voudrais dire à tous ceux qui luttent pour éviter que cela se produise, que ces événements se produisent, que je connais leur culpabilité et leur sentiment d’échec, et qu’ils doivent continuer à lutter pour la paix. Je voudrais dire à tous ceux qui nous ont témoigné leur affection, à ses parents et à moi, que nous y avons été profondément sensibles. Je voudrais dire à ta famille que nous sommes unis. Et à tous les plus proches qui ont été si soucieux de moi, qui ont été si soucieux de nous, qu’ils sont magnifiquement dignes de toi.

A toi, je voudrais te dire que tu vas rester dans mon cœur pour toujours. Je t’aime. Restons tous dignes et veillons à la paix. Et gardons la paix. »

http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/04/25/je-souffre-sans-haine-l-hommage-vibrant-a-xavier-jugele-tue-sur-les-champs-elysees_5117289_1653578.html#UgzH8QUmJM4ghsk7.99

Comment ne pas être ému, ne pas avoir les larmes aux yeux en écoutant un discours d’une telle intensité, d’une telle dignité ? Merci Etienne d’avoir prononcé ces paroles là, ces mots là, pour rendre hommage à Xavier l’homme que tu aimes. Fier d’être français à ce moment là et de savoir que ces paroles sont possibles dans notre  pays aujourd’hui.

Oui quelle humanité, quel amour sont exprimés ! Merci.

 

Mardi 25 avril et mercredi 26 avril : la campagne électorale continue.

Christine Boutin prononcent des paroles indignes. Elle appelle à voter pour la candidate du Front National pour d’obscures raisons qui font honte à la foi des chrétiens, pour une pseudo-morale « anti-gay » même si ces mots ne sont pas prononcés, je les entends. Comment peut-elle prononcer des paroles aussi indignes, des paroles d’exclusion, de haine, manquant de grandeur d’âme.

La « manif pour tous » lui emboîte le pas. Même propos haineux. L’extrême droite semble soudain avoir revêtues les valeurs de l’Evangile ; elle semble désirable, respectable, chrétienne.

Comment ne pas avoir la nausée, en avoir les yeux embués de larmes de colères devant ces discours haineux ? Des discours indignes. Honte à ceux qui les prononcent au nom de leur foi, pour des enjeux politiques d’une bassesse indescriptible.

A ce moment là je ressens une grande honte d’être chrétien, d’être français, d’être prêtre. 

Oui je suis en colère !

Mais sont-ils dignes de ma colère ?

« Bryan », pêcheur d’hommes

* Entre Pêcheurs d’Hommes

Le Lundi 19 juin 2017

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nous nous retrouvons sur Paris, pour passer la journée ensemble, de 10h à 17h.

Prêtre, Pasteur, Diacre, Religieux, qui souhaitez découvrir le groupe, ce peut-être aussi l’occasion pour vous de venir partager avec nous une heure, deux heures ou plus.

Pour cela, n’hésitez pas à prendre contact, en toute confidentialité, pour échanger en amont sur vos souhaits, votre recherche, et sur ce que le groupe peut vous apporter.

Contact :
« Pêcheurs d’hommes » c/o David et Jonathan
92 bis rue de Picpus
75012 Paris

ou par mail à : responsable.pecheurs[at]davidetjonathan.com . Vous serez mis en relation avec un membre du groupe, dans le cadre d’une confidentialité totale.

* Prochaine Session de Pêcheurs d’hommes : 25 février 2018 – 1er mars 2018

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Depuis 1983, nous organisons une session par an de 3-4 jours de rencontres, d’échanges et de prière entre prêtres, pasteurs, diacres et religieux.  Nous sommes d’horizons divers et débordons les frontières.

Ce partage a déjà été vécu par plus d’une centaine d’entre nous comme une expérience de libération. Pour beaucoup, il demeure au fil du temps une source d’épanouissement spirituel.

La prochaine session aura lieu

du dimanche 25 février 2018 au soir au 1er mars 2018 matin,

en région parisienne, dans une communauté religieuse qui nous accueille.

Voir contact en première page de ce blog.

Au plaisir de te rencontrer, pour t’écouter, pour partager, pour se porter mutuellement, pour prier ensemble.

* Michèle JEUNET « Masculin-Féminin. Où en sommes-nous ? »

Michèle JEUNET,

Recension de son livre :

« Masculin-Féminin. Où en sommes-nous ? »

Décryptage d’une encyclique

A l’heure où « des laïcs et des prêtres multiplient camps et stages pour aider les hommes à se réconcilier avec leur masculinité, jugeant que la société et l’Eglise sont dominées par des valeurs féminines » (Journal Le Monde, 27 décembre 2016)[1], le livre de Michèle Jeunet est le bienvenu afin d’y voir plus clair sur les enjeux actuels du masculin et du féminin au sein même de l’Eglise catholique et plus largement.

L’auteure, religieuse et titulaire d’une maitrise en théologie, est une spécialiste du discernement et de l’accompagnement spirituel. Depuis plusieurs années, elle est également présente sur les réseaux sociaux à travers un blog « Au bonheur de Dieu »[2] dans lequel elle ose une parole personnelle conjuguant féminisme et foi pour que celle-ci soit « pensée et dite autrement afin d’être crédible aujourd’hui » pour reprendre ses mots.

A travers le décryptage d’une lettre apostolique du pape Jean Paul II portant sur la dignité et la vocation de la femme (Mulieris dignitatem, 15 aout 1988), Michèle Jeunet montre comment une rupture partielle est intervenue dans le discours théologique et ecclésial qui jusqu’à présent justifiait la place infériorisée des femmes. Elle écrit : « Ces questions dépassent largement la sphère chrétienne et religieuse, mais une certaine manière de traduire et d’interpréter les textes bibliques a légitimé une situation de fait, ceci avec d’autant plus de force qu’elle se réclamait de l’autorité même de Dieu. De ce point de vue, mon livre se veut une contribution à un travail de mémoire, en vue de continuer à se libérer de pratiques discriminantes » (page 13).

 

Si la démarche de l’auteure est militante, le contenu de l’ouvrage propose une étude sérieuse, approfondie et rigoureuse. Elle montre en effet la distance prise par Jean Paul II avec le discours classique en présentant l’homme et la femme comme image de Dieu en lien tant avec la théologie du Concile Vatican II dans Gaudium et spes  qu’avec une philosophie de la personne[3]. Mais Michèle Jeunet dénonce aussi avec insistance le fait que « cette lettre encyclique justifie la posture féminine qui met symboliquement les femmes uniquement du coté de l’Eglise, en position de réception et non d’initiative » (page 49). Le problème central est ici clairement posé et possède une multitude de conséquences graves pour les femmes. Nous en retiendrons trois :

1 – Comment sortir des représentations hiérarchisées entre Adam et Eve ?

Michèle Jeunet montre que « les liens Eve/Marie et Adam/Christ tels que le pense Mulieris dignitatem sont dangereux pour les femmes. Car ils rétablissent une hiérarchie : le féminin serait tout entier du coté du créé, de l’humain ; le masculin par son union au Verbe serait seul à être uni à Dieu. » (page 60). Pour l’auteure, la rédaction d’un document similaire à l’adresse des hommes qui pourrait s’intituler Viri dignitatem (page 63) ne réglerait pas l’impasse de ces représentations hiérarchisées entre hommes et femmes. Ce qui apparait plus constructif est le travail de plusieurs théologiens qui ont mis en évidence de nouvelles approches : celle d’André Wénin pour qui le drame d’Adam, autant femme que homme, est de se prendre pour l’origine d’Eve (page 74) ; celle de Lytta Basset pour qui l’apparition de la figure d’Adam intervient dans un monde déjà marqué par le mal (page 82) ; ou encore l’option de Juan Luis Segundo pour qui l’Incarnation ne met pas un terme à la recherche de l’homme et pose cette question : « comment la plus haute auto-communication de Dieu qu’est le Christ nous ferait cesser de penser, nous ferait abandonner notre aventure créatrice en quête de vérité ? » (page 101). Des pages passionnantes qui invitent à aller plus loin dans la connaissance de ces auteurs.

2 – Une communauté d’hommes et de femmes à l’image de la Trinité

Michèle Jeunet ouvre une autre perspective pour penser la relation homme/femme non à partir  d’une vision de « Dieu comme un souverain au trait masculin car, si on le pense ainsi, nous avons une monarchie divine au ciel qui fonde la souveraineté terrestre de tout pouvoir d’un seul sur l’autre » (page 120) mais à partir de la Trinité des personnes divines « car c’est en tant que père de Jésus crucifié et ressuscité qu’il est tout puissant et qu’il s’expose ainsi à l’expérience de la souffrance, de la douleur, de l’impuissance et de la mort » (page 125). Cette conception n’est pas sans rappeler le travail de Bruno Forte[4] ou celui de Piero Coda[5]. Michèle Jeunet tire les conséquences directes de cette conception trinitaire en se référant au théologien protestant Jürgen Moltmann[6] : « Une théologie politique qui se veut chrétienne doit donc critiquer le monothéisme politique en refusant une unité entre religion et politique mais aussi en recherchant des options politiques qui correspondent aux convictions de la foi chrétienne et qui ne la contredisent pas. Donc un non à la monarchie d’un souverain, non à un maître du monde, non à un père tout puissant patriarcal qui se définirait par le pouvoir de disposition sur ce qui lui appartiendrait. Et un oui à la communauté des hommes sans privilèges ni servitudes, communauté où les personnes sont définies par leur relation les unes avec les autres et leur importance les unes pour les autres, définies par la personnalité et par des relations personnelles » (page 126). Une profession de foi et un engagement que nous ne pouvions pas laisser sous silence !

3 – Vers l’idée que l’humain se dérobe à toute définition

C’est sans doute en ce domaine que Michèle Jeunet est la plus innovante et ouvre une perspective qui intègre le regard que l’être humain pose sur lui-même depuis la découverte de Freud. Tout commence ici par une revendication légitime : « Peut-on et doit-on dire « Elle est Dieu » comme nous disons « Il est Dieu » ? Peut-on dire autrement « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » ? » (page 131) Dans un contexte bien différent, c’était déjà la quête d’Augustin d’Hippone au début du christianisme afin de pouvoir rendre compte à ses contemporains de la nouveauté de la révélation trinitaire[7]. Au XXI° siècle, l’auteure écrit : « L’homme est à l’image de celui qui n’a pas d’image, de celui qui ne peut être représenté, de celui qui ne peut être défini. Cela voudrait-il dire que, de même qu’on ne définit pas Dieu, car l’enclore dans une définition ne peut produire qu’une idole, de même, on ne peut définir l’humain car l’enclore dans une définition ne peut que le défigurer, en faire aussi une idole au sens d’une fausse image de lui. Dieu se dérobe à toute définition, l’humain également » (page 134). Ce n’est pas là le constat d’un échec mais au contraire la voie ouverte à une nouvelle conception plus ouverte, plus libre, plus créatrice de la relation : « Cette relation différenciée est sans représentation. On ne peut l’enclore, mettre la main dessus, elle se dérobe à toute définition. Et comme elle est humaine, elle est dans une histoire, une tâche à réaliser » (page 136).

Attention cependant de ne pas aller trop vite en besogne en sautant allègrement certaines étapes car la dimension de la relation – si l’image n’est « pas une représentation mais une fonction » (page 134) pour reprendre l’expression de Michèle Jeunet – ne vise pas d’abord le rapport homme/femme mais l’image que chaque être humain entretient avec lui-même. Ainsi la conception de « la femme éternelle » (page 65) est un leurre, une idéalisation, une représentation qui évite de rejoindre chaque femme dans son identité, dans sa subjectivité. C’était le sens de l’expression de Jacques Lacan « la femme n’existe pas » ou de Jean Allouch lorsqu’il écrit « une femme sans au-delà »[8], une invitation à interroger  sérieusement nos certitudes et croyances.

A Brive-la-Gaillarde,

le 5 avril 2017

Emmanuel Pic, membre du groupe

[1] L’analyse du philosophe Yvon QUINIOU sur cette réalité est intéressante :  https://blogs.mediapart.fr/yvon-quiniou/blog/291216/lahurissante-apologie-catholique-de-la-virilite-masculine

[2] http://aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com

[3] Jean Paul II était un grand lecteur d’Emmanuel Mounier, philosophe personnaliste et fondateur de la revue Esprit qui écrivit l’article fameux « La femme aussi est une personne » (Revue Esprit, n°45, juin 1936).

[4] Bruno FORTE, La Trinité comme histoire, Editions Nouvelle Cité, Paris, 1995, 269 pages.

[5] Piero CODA, « De la théologie qui naît du charisme de l’unité », dans Voyage trinitaire, Editions Nouvelle Cité, Paris, 1996, pages 45-46.

[6] Jürgen MOLTMANN, Trinité et Royaume de Dieu, Cerf, 1984, Collection Cogitatio fidei 123, page 249.

[7] Au sujet des relations inter-personnelles, saint Augustin retient l’image des rapports entre l’aimant, l’aimé et l’amour : « Il y a donc là trois choses : le sujet de l’amour, l’objet de l’amour et l’amour. Il nous reste à monter encore et à retrouver tout cela dans un ordre plus élevé, autant que cela est donné à l’homme » (De la Trinité, VIII, 10, 14).

[8] Jean ALLOUCH, Une femme sans au-delà, L’ingérence divine III, Editions Epel, Paris, 2014, 264 pages.

* Prière proposée pour et par des membres de la fraternité des pêcheurs d’hommes

« Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble

et d’être unis » (Ps 132)

Seigneur Jésus,

Toi le Fils du Père,

Tu es venu parmi nous,

Et tu nous as dit :

« Je vous ferais pêcheurs d’hommes ».

 Tu nous as appelés

Pour le service de nos frères et sœurs en humanité.

Tu nous aimes.

Tu nous connais.

Nous te confions notre fraternité.

Sois notre lien d’amitié, de prière et de soutien.

Sois toi-même notre Unité et notre Paix.

Fais que nos vies portent du fruit, « un fruit qui demeure ».

Qu’elles soient habitées par Ta présence aimante et vivifiante.

Nous voulons nous porter les uns les autres,

Et nous te confions nos joies, nos peines,

Notre ministère, notre mission, notre travail…

Tous ce(ux) qui nous habite(nt)…

Répands sur nous et par nous Ta Miséricorde,

Pour la gloire du Père,

Dans la grâce de l’Esprit Saint,

Et pour le salut du monde.

AMEN

Pâques 2017

* Un monastère en psychanalyse

Recension de l’ouvrage en langue espagnole de

Juan Alberto LITMANOVICH

Un monasterio en psicoanálisis

(Paradiso editores, Mexico, 2015, 403 pages).

Ce livre n’est pas encore traduit en français mais souhaitons qu’il le soit sans tarder car il ne propose pas moins qu’une étude historique du travail psychanalytique mené à l’intérieur du monastère bénédictin de Cuernavaca au Mexique de 1961 à 1967.

Pour les initiés, cette expérience revêt un caractère spécial tant elle fut l’objet de prises de positions variées dans le débat décisif – et toujours actuel – entre l’Eglise catholique et les instances psychanalytiques .

L’auteur, psychanalyste et docteur en histoire, s’approprie les documents de l’époque et révèle en particulier les archives de Frida Zmud que sa fille lui a remises. Frida Zmud fut, avec Mauricio Gonzales de la Garza et Gustavo Quevedo, l’une des trois psychanalystes qui sont intervenus à l’intérieur de ce monastère bénédictin à la demande du père abbé belge Grégoire Lemercier. Celui-ci souhaitait qu’un moine le devienne « vraiment, et non pour des raisons pathologiques. Il désirait que les vocations soient authentiques et sans illusions névrotiques » (page 104). J’ai eu du mal à entrer dans cette lecture – et pas uniquement à cause de mes connaissances limitées en espagnol ! – jusqu’au moment où j’ai compris la « méthodologie » de l’auteur (qu’il explique très bien par ailleurs) qui consiste pour l’historien ou le sociologue à se situer comme sujet face à l’objet d’étude. A partir de là, j’ai vraiment savouré cette subjectivité en acte et les différentes tentatives pour décrire ces moines dans leurs différents contextes. Il peut y avoir un effet répétitif car les mêmes informations apparaissent plusieurs fois au fil de l’ouvrage mais elles sont perçues et traitées sous un angle différent à chaque fois (le père abbé, les groupes de travail, la presse, les psychanalystes, le Vatican, etc.). Dans une premier temps le père abbé avait fait appel à Mauricio Gonzales de la Garza. Dans un de ses livres El Padre Prior, celui-ci raconte une partie de l’expérience vécue au sein du monastère ainsi que les thèmes majeurs qui préoccupaient Grégoire Lemercier : « Le questionnement autour de ce qu’est la véritable vocation, ses inquiétudes au sujet de la sexualité, la science et la religion » (page 119). Cependant la place que tient Gonzalez de la Garza dans l’histoire du monastère est minime. « Elle ne mérite que quelques paragraphes qui s’inscrivent dans la période de crise de celui-ci » (page 120). Mais la période la plus dense – et sans doute la plus intéressante – fut celle pendant laquelle Gustavo Quevedo et Frida Zmud ont mis en place des groupes d’analyse composés soit de moines, soit  de profès temporaires et de novices. C’est un changement important qui vient bousculer la tradition monastique et qui n’est pas sans conséquence pour ces religieux : « Cette variante de la routine – écrit Frida Zmud – se transforme très rapidement en quelque chose d’angoissant, tout à la fois désirée et redoutée : la relation à la femme, le mélange postulants et novices, la rupture du voeu de silence et spécialement le conflit de loyauté entre le prieur – père spirituel – et la thérapeute, constituent par principe, une série d’obstacles qu’ils doivent vaincre. » (page 322).


Pour s’en convaincre il suffit de lire les pages consacrées sur le sujet dans l’ouvrage d’Agnès DESMAZIERES, L’inconscient au Paradis, Comment les catholiques ont reçu la psychanalyse (1920-1965), Editions Payot, 2011, pages 228-231.

Dans un Congrès en Bavière en 1971, elle distingue 5 séquences pour décrire la « dynamique du traitement » : « 1) Les angoisses de persécution, la division schizo-paranoïde, le cloître-monastère comme cloître-maternel. 2) L’aggravation de la régression, la dissimulation de fantasmes érotiques destructeurs. 3) L’identification à l’objet idéal protecteur, la régression, suivie de la crise psychotique, la négation de la réalité interne et la conservation des objets internes idéaux. 4) L’apparition de « tendances réparatrices et la considération pour les objets ; avec elles s’ajoutent les mécanismes de sublimations et de créations ». 5) La possibilité de se réaliser comme homme, comme personne. La liberté de choisir son futur, son destin » (pages 322 et 323).

Le travail de Juan Alberto Litmanovich éclaire le rapport mystique/psychanalyse grâce à son regard d’historien, en particulier lorsqu’il s’intéresse à la crise personnelle qu’a traversé le père abbé. C’est ce phénomène singulier survenu le 4 octobre 1960 qui le conduit à entreprendre un travail personnel d’analyse auprès de Gustavo Quevedo : « Il s’agit bien d’une expérience que l’on peut qualifier de mystique, mais une mystique du XX° siècle. Ainsi comme le relate Michel de Certeau, au XVI° et XVII° siècle, les pratiques mystiques ont un espace, un lieu : le désert. Dans la modernité, un prieur se rend chez le psychanalyste (…) Lemercier possède une certaine conscience des différences entre mystique et folie, ou pour le moins une attention certaine. Aussi ce carrefour que traverse Lemercier permet la confluence des différents discours qui ont parcouru le monastère » (pages 131-132). L’expérience hallucinatoire de Grégoire Lemercier a permis de percevoir et de questionner la relation entre expérience spirituelle et trouble psychologique. La frontière entre les deux domaines semble poreuse voire contagieuse puisqu’elle atteint même les rédacteurs des documents officiels du Vatican. En effet si le Saint Office en 1961 décide de ne pas attaquer la personne du père abbé mais l’usage de la psychanalyse, il n’en demeure pas moins que, par deux fois, un lapsus scripturaire exprime clairement les peurs de l’Eglise concernant Lemercier dont le nom de famille est remplacé par celui de Lesorcier ! (page 113)

Dans ce travail psychanalytique, les participants du groupe parlent de plus en plus librement de leurs attitudes à l’intérieur et à l’extérieur du monastère en lien avec leur propre enfance. Ils évoquent leurs rêves dans lesquels surgissent certaines représentations de la sexualité (hétérosexuelle ou homosexuelle). Pour certains, les femmes se répartissent entre les pures (mères) et les putes (les autres). Tous expriment la difficulté d’envisager une relation de couple ou même d’avoir un/une partenaire autrement que d’une manière asexuée (liens fraternels ou amicaux). Ainsi face à l’impossibilité d’accéder à une sexualité active (perçue comme sale ou inconvenante) apparaît la thématique de la masturbation (pages 213 et 214). Gustavo Quevedo va plus loin dans sa réflexion lorsqu’il affirme que le désir récurrent de certains moines de quitter le monastère est à mettre en lien avec le fait qu’ils ne soient pas en capacité d’affronter une  homosexualité latente. Il écrit  : « Peut être que pour la premiers fois, ils perçoivent leur homosexualité et cela leur fait peur » (page 219). Dans ce registre, la réflexion de l’un des moines est intéressante lorsqu’il mentionne une masturbation physique d’un genre différent : celle qui s’opère lorsqu’il dessine « en cas de nécessité (…) l’homo ou l’hétéro sublime, mieux il travaille et il crée ». Pour le psychanalyste mexicain ce concept de sublimation dans la bouche d’un moine est un apport direct du discours psychanalytique (page 220). Pour l’écrivain Vicente Lenero, qui a connu de près l’histoire du monastère de Cuernavaca, « si le monastère apporte quelque chose, quelque chose de fort, c’est qu’il dé-diabolise l’homosexualité. (C’est vraiment beau de rencontrer des personnes qui peuvent parler de la sexualité) L’homosexualité était un élément très important, surtout parce qu’un monastère devient, comme tout séminaire, un refuge des tendances homosexuelles. C’est pourquoi Quevedo a permis et a soutenu la création d’un espace où ils  pouvaient parler d’eux-mêmes. Ceci me parait un progrès fondamental ! (…) soudain un espace de liberté survient, presque un érotisme mystique, c’est surprenant » (page 357).

En conclusion, je dirai que ce livre non seulement permet d’accéder aux problématiques des acteurs religieux ou psychanalystes de l’expérience de Cuernavaca, mais offre aussi des outils précieux pour la recherche à travers plusieurs lectures :

– une lecture historique qui donne à comprendre l’impact dans les années 60 de l’implantation récente du monachisme au Mexique en lien avec les réformes liturgiques, théologiques et au final anthropologiques que dessine le Concile Vatican II ;

– une lecture  psychanalytique qui montre en particulier combien les analysants ou les analystes sont, tour à tour, les enjeux d’institutions qui les dépassent, de leur vivant jusque dans leur mort d’ailleurs !

– une lecture pour le plaisir de découvrir la manière dont l’auteur lui-même s’implique et se risque dans sa lecture des documents, dans son désir de multiplier les portes d’accès à l’expérience qui a été menée, dans la rencontre d’hommes et de femmes témoins directs ou indirects.

Enfin comment ne pas souligner que ce processus d’incorporation de certaines pratiques psychanalytiques au cœur de l’expérience spirituelle est le fruit du travail et de l’engagement de deux femmes ? Juan Alberto Litmanovich leur rend hommage avec un chapitre consacré à Mélanie Klein (1882-1960) et à « l’univers kleinien » auquel Gustavo Quevedo se référait, et un autre chapitre dédié à Frida Zmud (1914-1985) – déjà nommée – dans lequel il est passionnant de découvrir comment elle devint la première femme psychanalyste mexicaine.

A Brive la Gaillarde, le 3 avril 2017

Emmanuel Pic, membre du groupe

* Les relations sexuelles / d’où vient notre morale ?

Les Relations Sexuelles – D’où vient notre morale?
Mgr Geoffrey James Robinson, évêque catholique d’Australie


La thèse de cet article de 2014 est en trois parties:
1. Il n’y a aucun espoir de changer l’enseignement de l’Église Catholique au sujet des actes homosexuels sans un changement dans son enseignement sur les actes hétérosexuels;
2. Il y a un besoin urgent de changer l’enseignement de l’Église sur les actes hétérosexuels;
3. Si ce changement a lieu, il aura nécessairement un effet sur l’enseignement concernant les actes homosexuels.

Première Partie
Il n’y a aucun espoir de changer l’enseignement de l’Église Catholique au sujet des actes homosexuels sans un changement dans son enseignement sur les actes hétérosexuels.
L’argument de l’Église Catholique, constamment répété, est que Dieu a créé la sexualité humaine pour deux raisons : comme un moyen d’exprimer et de renforcer l’amour dans un couple (l’aspect unitif) et comme le moyen par lequel une nouvelle vie humaine est appelée à l’existence (l’aspect procréatif). L’argument continue en disant que la sexualité est exercée «selon la nature» seulement si elle sert ces deux buts définis par Dieu, et que par ailleurs ces deux buts ne sont vraiment respectés qu’à l’intérieur du mariage, et alors seulement lorsque les rapports sont ouverts à une nouvelle vie, de manière que toute autre utilisation des capacités sexuelles est moralement inacceptable.

 

Si le point de départ est que tout acte sexuel doit être à la fois unitif et procréatif, il n’y a aucune possibilité d’approuver les actes homosexuels. Le Catéchisme de l’Église Catholique traite la question d’une manière expéditive: «(Les actes
homosexuels) sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une véritable complémentarité affective et sexuelle.»
Si tel est le point de départ, il n’y a guère plus à dire. Il n’y a aucune possibilité de changement concernant les actes homosexuels dans les limites de cet enseignement, et il est futile de le rechercher, car les actes homosexuels ne possèdent pas l’élément procréatif tel que l’Église l’entend. Si l’enseignement sur les actes homosexuels devaient changer, c’est l’enseignement de base concernant tous les actes sexuels qui doit d’abord évoluer.

 

Deuxième partie
Il y a un besoin urgent de changer l’enseignement de l’Église sur les actes hétérosexuels.
Je propose trois raisons pour lesquelles cet enseignement doit changer.
Premier argument
En premier lieu, l’enseignement de l’Église maintient que l’essence du péché sexuel est qu’il est une offense directe contre Dieu car, sans considérer le mal qui pourrait être commis contre un être humain, il s’agit d’une transgression contre l’ordre naturel et divin établi par Dieu. Il est soutenu que Dieu a inséré dans la nature elle-même l’exigence que tout acte sexuel humain soit à la fois unitif et procréatif. Si l’acte ne comporte pas ces deux éléments, il est contre la «nature» telle que Dieu l’a établie. Ceci soulève deux questions graves, l’une concernant la nature et l’autre concernant Dieu.
Par rapport à la nature: l’argument de l’Église ne devrait-il pas indiquer quelques autres exemples de domaines où Dieu a donné un but divin à quelque entité créée, de telle façon qu’il serait un péché contre Dieu d’utiliser cette entité d’une autre manière ? Ou est-ce le seul cas où Dieu a donné un but divin à une entité créée ? S’il y a d’autres cas, pourquoi ne sont-ils pas listés dans les documents de l’Église ? Je me souviens avoir lu il y a longtemps un argument humoristique selon lequel le but naturel que Dieu a donné à nos yeux est de voir en avant, et par conséquent utiliser un rétroviseur dans une voiture serait contre nature et ainsi immoral. Même si cet argument est humoristique, ne soulève-t-il pas des questions sur ce que nous appelons «nature» et à quel point il est difficile de tirer des conséquences morales d’une nature prétendument établie par Dieu ?
Par rapport à Dieu : il était courant de dire autrefois que frapper un roi était bien plus grave que frapper un roturier, et de la même façon, une offense contre Dieu était énormément plus grave qu’une offense contre un être humain. De ce point de vue, les péchés les plus graves étaient ceux qui touchaient Dieu directement. Dans la pratique, cela s’appliquait surtout aux péchés de blasphème et aux péchés sexuels. Cette attitude permet d’expliquer pourquoi, dans l’Église Catholique, la morale sexuelle a depuis longtemps reçu une importance exagérée.
Lorsqu’une personne s’offusque de la moindre petite remarque, nous avons tendance à considérer cette personne comme «petite», alors qu’une personne qui peut ignorer la plupart des commentaires négatifs est une «grande» personne. Ma lecture de la Bible m’amène à croire en un Dieu immensément grand qui ne s’offusque pas facilement devant des offenses directes. Je crois par exemple, que Dieu considère la plupart de ce qui s’appelle «blasphème» comme une réaction humaine compréhensible devant le mal et la souffrance dans ce monde, ressentis comme des injustices. Je ne crois pas que Dieu s’offusque le moins du monde devant des parents qui viennent de perdre un enfant et qui dirigent une colère terrible contre Dieu.
Dans le même esprit, je me demande si Dieu va s’offusquer devant une pensée ou un acte de caractère sexuel considéré uniquement comme une offense contre l’ordre établi par Dieu, sans que son effet sur d’autres personnes, sur soi-même ou sur la communauté rentre en ligne de compte.
La parabole de l’enfant prodigue peut nous aider ici. Le fils cadet avait reçu la part entière de la propriété qui devait lui revenir et il l’avait gaspillée. Il n’avait plus aucun droit à la moindre parcelle du patrimoine, car tout ce qui restait revenait en droit au fils aîné («Tu es toujours avec moi et tout ce que j’ai est à toi», v. 31). Le père respectait les droits de son fils aîné et ne voulait rien lui enlever. Par contre, en ce qui concerne la peine que le fils prodigue avait causée à son père en l’abandonnant et en gaspillant les biens qu’il avait gagnés par un dur travail, le père l’a écartée d’un revers de main par amour pour son fils et il a insisté pour qu’il soit accueilli et qu’il soit traité comme un fils plutôt que comme un serviteur. Le message est sûrement que Dieu se préoccupe des droits des êtres humains et de ce qu’ils font l’un à l’autre, mais que son amour et son pardon sont assez grands pour qu’il ne se mette pas en colère devant les offenses directes contre Dieu. On peut se demander si le Dieu représenté dans cette parabole condamnerait quelqu’un à un châtiment éternel parce qu’il n’arriverait pas à mettre les éléments unitif et procréatif dans l’harmonie perçue comme idéale au milieu de toute la turbulence de la sexualité.


Depuis des siècles, l’Église a enseigné que tout péché sexuel est un péché mortel. Selon cet enseignement, même prendre un plaisir délibéré d’une pensée sexuelle, pendant un instant aussi court soit-il, est un péché mortel. Cet enseignement n’est plus proclamé aujourd’hui aussi fort que naguère, mais il a été proclamé par de nombreux papes, il n’a jamais été retiré et il a affecté des personnes sans nombre.
Cet enseignement a favorisé la croyance en un Dieu incroyablement colérique, car ce Dieu condamnerait une personne à une éternité en enfer pour un seul moment non repenti de plaisir délibéré dérivant du désir sexuel. Personnellement, je n’arrive pas à croire en un tel Dieu. Même, je rejette fermement un tel Dieu.
Il semble donc qu’il y a de graves risques à édifier l’enseignement moral de l’Église concernant la sexualité sur le concept des offenses directes contre Dieu.
Il faut ajouter, à la lumière des révélations concernant les abus sexuels, que cette attitude morale a posé de graves problèmes, car bien trop d’autorités ecclésiastiques ont vu l’offense essentiellement en termes d’une offense sexuelle contre Dieu, à traiter selon les critères associés à de telles offenses : repentir, confession, absolution, pardon total de la part de Dieu et retour au statu quo. Ceci a encouragé la pratique de déplacer les fautifs de paroisse en paroisse. Il ne pourrait y avoir de réponse adéquate aux abus tant que les gens se préoccupent plus des offenses sexuelles contre Dieu plutôt que du mal fait aux victimes.


Deuxième argument
La deuxième raison pour changer est que les énoncés de l’Église semblent être plutôt des affirmations que des arguments. Personne ne conteste le fait que le rapport sexuel est le moyen normal de créer une nouvelle vie et qu’il peut être une force puissante pour aider les couples à exprimer et à renforcer leur amour. Les deux éléments, l’unitif et le procréatif, sont ainsi des aspects fondamentaux du mariage en tant qu’institution pour l’ensemble du genre humain. Mais sont-ils des éléments essentiels de chaque mariage individuel, quelles que soient les circonstances, par exemple pour le couple à qui les experts médicaux annoncent que tout enfant qu’ils auraient, souffrirait d’une maladie héréditaire grave et invalidante ? Sont-ce des éléments essentiels pour tout acte individuel de rapport sexuel ? Pour quelle raison ?
Il y a toujours des problèmes quand des êtres humains prétendent connaître les pensées de Dieu. Ainsi l’énoncé que c’est la volonté de Dieu, son exigence même, que les deux aspects, unitif et procréatif, soient nécessairement présents à chaque occasion d’un rapport sexuel, est-ce un fait démontré ou une simple affirmation ? S’il s’agit d’un fait démontré, où est la démonstration ? Pourquoi les documents de l’Église ne présentent-ils pas de telles démonstrations ? Ne faudrait-il pas que de telles démonstrations incorporent l’expérience de millions de personnes qui s’efforcent de combiner la sexualité, l’amour et la procréation d’une nouvelle vie au milieu des turbulences de la sexualité humaine et des complexités de la vie humaine ? N’est-on pas en train de confondre un idéal avec une réalité ?
S’il ne s’agit que d’une affirmation, y a-t-il une raison pour ne pas appliquer le principe de logique : ce qui est librement affirmé peut être librement rejeté ? S’il ne s’agit que d’une affirmation, y a-t-il de l’importance à savoir qui affirme et à quelle fréquence ? Où sont les arguments en faveur de l’affirmation qui pourraient convaincre une conscience ouverte et honnête ?

 

Troisième argument
Le troisième argument est que l’enseignement de l’Église est bien trop souvent construit sur une considération de la nature (vue comme établie par Dieu) des actes physiques en eux-mêmes plutôt que de la manière dont ces actes touchent les personnes et leurs relations. Et on continue de faire comme ça à un moment où la tendance générale de la théologie morale est dans le sens opposé. Je reviendrai sur ce point.
Il nous reste le fait que l’Église Catholique propose un enseignement que seule une minorité accepte, surtout chez les jeunes. La société occidentale dans son ensemble a rejeté cet enseignement et a adopté une position qui est à bien des égards l’extrême opposé. Peu de gens, apparemment, continue à chercher un terrain moyen entre les deux extrêmes. C’est ce terrain moyen que je voudrais maintenant explorer.

Le terrain moyen
Si nous abandonnons une éthique qui voit la sexualité en termes d’une offense directe contre Dieu, qui souligne les actes physiques individuels plutôt que les personnes et leurs relations, et qui s’érige sur une affirmation répétée plus que sur un argument, où devons-nous aller ? Je suggère de nous diriger vers une éthique qui, premièrement, situe l’offense contre Dieu non dans l’acte sexuel en lui-même, mais dans le mal infligé aux êtres humains ; deuxièmement, qui parle de personnes et de relations plutôt que d’actes physiques et troisièmement, qui construit son argument sur ces deux fondements plutôt que sur des affirmations non démontrées.
S’il est impossible de construire toute une éthique sexuelle sur la base des offenses directes contre Dieu, tout semble indiquer que Dieu se préoccupe intensément des êtres humains et qu’il réprouve tout le mal qu’on leur inflige, que ce soit par le désir sexuel ou par tout autre moyen. «Quiconque entraîne la chute d’un seul de ces petits qui croient, il vaut mieux pour lui qu’on lui attache au cou une grosse meule, et qu’on le jette à la mer.» (Mc 9,42) «Alors eux aussi répondront : ‘Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou en prison, sans venir t’assister ?’ Alors il leur répondra : ‘En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.’» (Mt 25,44-45) Dans ces deux citations, Jésus s’identifie avec les personnes les plus faibles de la communauté, et il nous dit que tout mal qu’on leur inflige est un mal qui lui est infligé à lui.
Je suggère donc que nous devons regarder la morale sexuelle en termes du bien ou du mal causé à des personnes et aux relations entre eux plutôt qu’en termes d’une offense directe contre Dieu.
À partir de là, peut-on dire que le plaisir sexuel, comme tout autre plaisir, est en soi moralement neutre, ni bon ni mauvais ? Ce sont plutôt les circonstances qui affectent les personnes et les relations qui font que ce plaisir soit bon ou mauvais, par exemple, un plaisir bon pour un couple marié qui cherche à se réconcilier après une dispute, un plaisir mauvais pour un homme qui commet un viol ?

 

L’Eglise contre la Société Moderne
Pour aller plus loin, si on creuse plus à fond, au-delà des enseignements spécifiques de l’Église Catholique sur la sexualité, pour arriver aux éléments fondamentaux de sa foi, il me semble qu’il y a une question de fond sur laquelle l’Église et la société occidentale moderne sont en train de se diriger dans des sens opposés.
L’Église maintient que l’amour est l’aspiration la plus profonde du coeur humain et que la sexualité est une expression éminente de l’amour, et qu’il faut, par conséquent, faire tout son possible pour que la sexualité garde sa capacité d’exprimer l’amour le plus profondément possible. Il faut éviter que la sexualité se banalise à tel point, pour soi-même individuellement ou pour la communauté dans son ensemble, qu’elle perde sa capacité d’exprimer l’amour le plus profond. La société moderne, par contre, devient de plus en plus tolérante envers une activité sexuelle désinvolte sans lien avec l’amour ou une relation.
En termes plus simples, l’Église dit que, puisque l’amour est essentiel et puisque la sexualité est si capitale comme moyen d’exprimer l’amour, la sexualité est toujours une question grave, mais la société moderne semble dire de plus en plus que la sexualité en soi n’a rien de grave.
Sur ce point essentiel, je me sens instinctivement plus en accord avec la position de l’Église qu’avec celle de la société moderne. Paradoxalement, ce sont les effets de l’abus sexuel des mineurs, plus que toute autre chose, qui m’ont convaincu que la sexualité n’est pas sans gravité.

«Ne fais pas de mal» contre «Aime ton prochain».

Comme la sexualité est pour moi une chose grave, je n’arrive pas simplement à la conclusion que toute activité sexuelle est bonne tant qu’elle ne fait mal à personne. Je ne voudrais jamais voir la chose en des termes si simples, car j’ai vu trop de mal provoqué par cette attitude.
Elle s’exprime en termes négatifs (Ne fais pas de mal) et inévitablement implique un risque sérieux d’appliquer la stratégie du bord de l’abîme. C’est-à-dire que, sans penser beaucoup au bien-être de l’autre personne concernée, on peut rechercher son propre plaisir et, en le faisant, s’avancer jusqu’à la limite extrême où commence la souffrance de l’autre. Dans un domaine aussi mouvant que celui-ci, de nombreuses personnes qui se guident selon un tel principe vont allègrement dépasser cette limite.
Jésus disait toujours «Aime ton prochain» et ceci implique plus que le fait négatif de ne pas faire du mal. Cela implique un respect sincère pour l’autre et un désir et une recherche effective du bien-être de l’autre. La différence essentielle entre ces deux attitudes est que  «Ne fais pas de mal» peut se concentrer sur soi-même, alors que  «Aime ton prochain» se focalise sur le prochain. Une éthique chrétienne doit, au minimum, s’exprimer en des termes positifs. Ce n’est que sur cette base qui respecte et qui recherche effectivement le bien du prochain que nous pouvons être sûrs d’aboutir à une éthique vraiment chrétienne. Une telle confiance serait impossible sur la base du principe négatif de «Ne fais pas de mal».
Dans cette recherche d’une éthique, nous devons prendre très au sérieux le mal que peut provoquer le désir sexuel et nous devons considérer avec soin ces circonstances qui peuvent rendre immorale la recherche du plaisir sexuel parce que s’y retrouve un mal fait aux autres, à soi-même ou à la communauté. Quelques-uns de ces facteurs sont : la violence, physique ou psychique, la duplicité, même envers soi, le mal fait à une tierce personne (par exemple, un conjoint), l’utilisation d’une personne pour sa propre gratification, la réduction d’une personne à un objet sexuel, la disjonction entre sexualité et amour qui fait que la sexualité perd sa capacité d’exprimer les profondeurs de l’amour, la banalisation de la sexualité qui lui fait perdre son sérieux, la recherche d’une satisfaction immédiate qui restreint la capacité de répondre aux désirs plus profonds du coeur humain, gâcher la possibilité d’un engagement permanent, le non respect du lien qui existe entre la sexualité et une vie nouvelle, le non respect du besoin de construire une relation avec patience et sensibilité, le non respect du bien commun de toute la communauté.
On voit de tout ceci que j’ai de grandes difficultés avec l’idée du «tout permis». En réagissant contre un extrême, il y a toujours le danger de partir vers l’extrême opposé. Il me semble que c’est ce que la société moderne a fait avec la sexualité.

 

Une éthique chrétienne
Pour mettre plus au clair l’idée d’une éthique spécifiquement chrétienne, je suggère que nous regardions deux points de la Bible.
D’abord, en considérant le Décalogue, le commandement concernant l’adultère doit être lu dans le contexte des trois commandements qui l’entourent. Quatre commandements successifs traitent du respect envers autrui et ils précisent quatre éléments essentiels. Si je te respecte, je dois respecter : ta vie et ton intégrité physique (ne tue pas), les relations qui donnent sens à ta vie (ne commets pas d’adultère), tes biens matériels (ne vole pas) et ta bonne réputation (ne fais pas de faux témoignage). Il me semble que tout ce qui est essentiel dans les relations humaines se retrouve dans une de ces quatre catégories, alors si j’ai un véritable respect pour ces quatre éléments, j’ai un véritable respect pour toi. Par contre, si je maltraite l’un de ces quatre éléments, je ne peux plus prétendre que je te respecte.
Dans chaque cas, d’ailleurs, le plus fort contient le moins fort. Ainsi, si je ne dois pas tuer, je ne dois pas blesser non plus. Si je ne dois pas te blesser physiquement, je ne dois pas non plus te blesser psychologiquement, moralement ou autrement. Si je dois respecter la relation centrale de ta vie, le mariage, en me refusant à l’adultère avec ton conjoint, je dois également éviter de porter atteinte à ton mariage d’une autre façon et je dois respecter toutes les relations qui donnent sens à ta vie.
À partir de ce contexte des quatre commandements pris ensemble, il s’ensuit que le commandement concernant l’adultère n’est qu’indirectement une question de péché sexuel. De manière directe, il se préoccupe du respect des relations.
Autrement dit, il me semble que la portée du commandement concernant l’adultère est la suivante : «Ce sont les relations en général qui donnent sens, chaleur et direction à la vie humaine, surtout les relations de famille, et d’une manière spéciale la relation d’engagement avec un partenaire de vie. Alors si tu as un véritable respect pour autrui, ne fais aucun mal à ses relations, d’aucune façon, et surtout pas par l’adultère».

 

Deuxièmement, Jésus a présenté le principe «Aime ton prochain» comme la base de tout dans la vie chrétienne. Ceci signifie que, comme tout autre acte dans la vie d’un chrétien, un acte sexuel doit se fonder sur un véritable désir du bien global de l’autre, plutôt que sur ses propres intérêts.
Il me semble donc que les questions centrales concernant la morale sexuelle sont:
• Faisons-nous un progrès vers une éthique véritablement chrétienne, si nous lisons le commandement sur l’adultère dans le contexte des trois autres qui l’entourent et si nous fondons notre activité sexuelle sur un profond respect des relations qui donnent un sens, un but, une direction à la vie humaine et sur le fait d’aimer notre prochain comme nous voudrions que notre prochain nous aime ?
• Dans ce contexte, pouvons-nous nous demander si un acte sexuel est moralement correct lorsque, positivement, il se fonde sur un véritable amour du prochain, c’est-à-dire un véritable désir de ce qui est bien pour l’autre personne, plutôt que sur un simple intérêt personnel ? et négativement, lorsqu’il ne comporte pas d’éléments nuisibles tels qu’un tort à une tierce personne, quelque trace de coercition ou de duperie, ou un affaiblissement de la capacité du sexe à exprimer l’amour ?
• Reste la question des cas où de telles circonstances pourraient être réunies, et si et dans quelle mesure elles pourraient être réunies hors mariage : peut-on proposer une telle question pour discussion et débat dans la communauté de l’Église, dans la société en général et par chaque individu pour une décision responsable devant Dieu, devant les autres et dans son for intérieur ?
De nombreuses personnes feraient valoir que ce que j’ai proposé ne donnerait pas une règle claire et simple aux gens. Mais Dieu ne nous a jamais promis que tout dans notre vie morale serait simple et clair. La morale n’est pas qu’une question de faire des choses justes ; il s’agit également de lutter pour savoir ce qui est juste. Il ne s’agit pas simplement de faire ce que fait tout le monde autour de moi; il s’agit de prendre une véritable responsabilité personnelle pour tout ce que je fais. Et il s’agit d’être profondément sensible aux besoins et aux vulnérabilités des personnes avec qui j’interagis.
Je crois que normalement il est plus probable qu’un acte sexuel réponde aux exigences que j’ai proposées à l’intérieur d’une relation engagée et permanente, telle que le mariage, plutôt qu’en dehors d’une telle relation. Mais je serais réticent d’en arriver à la conclusion simple, qu’à l’intérieur du mariage tout va bien, en dehors du mariage tout va mal. Les complexités de la nature humaine et la turbulence de la sexualité ne permettent pas de réponses aussi simples.


Troisième Partie
Si ce changement (dans l’enseignement concernant les actes hétérosexuels) devait se produire, il aurait des répercussions sur l’enseignement concernant les actes homosexuels.
Prenons ce que j’ai dit sur les actes hétérosexuels et appliquons-le aux actes homosexuels, il s’ensuivra plusieurs choses.
Négativement, je ne peux accepter pour les actes homosexuels, pas plus que pour les actes hétérosexuels, l’idée que “tout est permis”, ou que la moralité puisse se fonder sur l’intérêt personnel ou sur la stratégie du bord de l’abîme qu’implique l’idée de “ne pas faire de mal” à une autre personne. J’exigerais que les personnes homosexuelles soient aussi conscientes que les hétérosexuelles de la facilité avec laquelle des pensées au sujet du sexe peuvent se déformer et donner lieu à un mal. Je ne pourrais approuver un style de vie de recherche délibérée de nombreux partenaires sexuels passagers, pas plus que je ne l’approuve chez les hétérosexuels, car je ne peux pas voir comment ceci pourrait être compatible avec tout ce que j’ai dit ici.
Positivement, il s’ensuivrait que les actes sexuels, hétérosexuels ou homosexuels, ne sont nullement, en tant que tels, offensifs à Dieu. Il signifierait que les actes sexuels sont agréables à Dieu lorsqu’ils aident à construire les personnes et les relations, désagréables à Dieu quand ils sont nocifs à des personnes et des relations. Comme je cherche une éthique spécifiquement chrétienne, j’exigerais toujours que ces actes s’enracinent dans un véritable amour ou bienveillance envers l’autre plutôt que dans un intérêt ou un assouvissement personnel.
Si l’enseignement de l’Église se fondait sur une considération de personnes et relations plutôt que sur ce qui est “selon la nature” dans l’acte physique, le statut des actes homosexuels se trouverait dans tout un monde nouveau et devrait être repensé de fond en comble.
En bref, si vous voulez changer l’enseignement de l’Église concernant les actes homosexuels, commencez par oeuvrer pour un changement de son enseignement sur tout acte sexuel.

Les Écritures
On ne peut pas, cependant, en rester là, car il faut aborder un autre aspect d’importance massive : ce que disent les Écritures. Sans aucun doute, il y a des passages de la Bible qui condamnent les actes homosexuels. En fait il y en a cinq : deux dans le Premier Testament (Gn 19; Lv 18,22) et trois dans le Nouveau (Rm 1, 26-27; 1 Co 6,9; 1 Tm 1, 10). Bien qu’il y ait des difficultés dans l’interprétation de tous les cinq, on ne peut pas simplement les écarter d’un revers de main. Il serait au-delà de ma compétence personnelle et dépasserait les limites de cet article d’étudier ces textes dans le détail, mais je peux relever trois points essentiels qui me sont apparus.
En premier lieu, nous devons faire attention au langage. Le Premier Testament traite l’homosexualité d’abomination, mais ce terme paraît 138 fois, appliqué à une grande variété de choses. Si l’homosexualité est une abomination, manger des crevettes l’est également. Comment prétendre que l’homosexualité est et sera toujours une abomination, alors que manger des crevettes ne l’est pas ? Plutôt que d’adopter la définition du mot abomination que l’on trouve dans le dictionnaire, il faut le voir comme un terme technique de la loi de l’Israël ancien qui provient d’idées concernant ce qui est rituellement pur et impur.

 

Le deuxième point est qu’à l’époque où ces documents ont été écrits, il n’y avait pas la compréhension de l’homosexualité que nous possédons aujourd’hui. On croyait apparemment que toutes les personnes étaient en fait hétérosexuelles. Les actes homosexuels étaient vus ainsi comme un choix délibéré d’hétérosexuels qui pratiquaient des actes homosexuels. Étant donné les peurs que l’homosexualité peut soulever chez des hétérosexuels, on peut facilement comprendre pourquoi quelqu’un comme St Paul ne pouvait comprendre l’idée que des hétérosexuels puissent pratiquer l’homosexualité, s’en trouvait fortement dérangé, considérait ces actes “contre nature” et les a condamnés. Tous les passages des Écritures concernant les actes homosexuels doivent se lire sur ce fond d’un manque de compréhension de l’homosexualité. Si l’homosexualité était condamnée, qu’est-ce qui dans l’esprit des auteurs était condamné ?  tout acte homosexuel en lui-même, indépendamment des circonstances ? ou le fait qu’une personne hétérosexuelle puisse accomplir un acte homosexuel ?


Le troisième point est que la Bible est surtout l’histoire d’un voyage, le voyage spirituel du peuple d’Israël. Elle a ainsi un début, un milieu et une fin. Si Jésus représente la fin du voyage, on peut voir ses débuts dans un personnage comme Lamek au chapitre 4 de la Genèse, qui exige une vengeance de soixante-dix-sept fois pour tout tort qu’il aurait subi. La Bible n’est pas une collection de déclarations parfaites de vérités éternelles; elle reflète chaque étape de ce voyage, y compris de nombreuses paroles et actions qui ne sont absolument pas destinées à notre imitation. Les déclarations concernant l’homosexualité sont à situer dans le contexte de ce voyage. Par exemple, la déclaration sur l’homosexualité dans Lévitique 18, 22 provient d’une éthique de la pureté que Jésus plus tard allait rejeter. Il ne peut pas ainsi compter comme le mot de la fin de Dieu sur ce sujet.
Il faut également se rappeler que, même si Paul a écrit après Jésus, c’est Jésus et non Paul qui est la fin du voyage. Il est légitime de chercher l’origine des idées de Paul pour décider si elles reflètent l’esprit de Jésus ou plutôt des compréhensions plus anciennes.
Si nous étudions le mariage dans la Bible, nous trouvons bien des passages qui expriment l’idée que la femme est la propriété de son mari et également des passages qui dénigrent les femmes. Il faut un regard attentif pour trouver les endroits où s’exprime une compréhension plus raffinée, plus exaltée du mariage. Il s’avère alors que ces passages supérieurs se rattachent aux trois domaines essentiels : la création, l’alliance et la rédemption, les concepts clés de la Bible. Nous pouvons nous laisser guider avec confiance par ces passages supérieurs, même si pour cela il nous faudra écarter une plus grande quantité de citations bibliques qui reflètent des conceptions archaïques des femmes comme propriété. Si nous pouvons faire cela avec confiance en ce qui concerne le mariage, n’est-il pas raisonnable de procéder de la même manière en ce qui concerne l’homosexualité?
Il y a une éthique de la pureté dans le Premier Testament qui, entre autres, condamne les actes homosexuels. Plus tard, Jésus a rejeté cette éthique de la pureté, mais elle a continué à avoir une influence dans le monde chrétien. Ainsi lorsque l’Église a commencé à traiter de la sexualité en termes d’actes naturels et contre nature, l’éthique de la pureté a fortement influencé son attitude envers les actes homosexuels.
Mon impression prépondérante est que, plutôt que de faire des déclarations mûrement réfléchies sur l’homosexualité, l’Église a été fortement influencée par des idées du Premier Testament, et elle n’a pas vu à quel point la position de Jésus sur les relations avait été radicale.
Je suis convaincu qu’il doit y avoir maintenant une nouvelle étude de tout ce qui se rapporte à la sexualité pour tenter de découvrir et exprimer une acceptable approche moyenne entre l’ancien enseignement de l’Église et les attitudes courantes dans la société occidentale. Je suis convaincu qu’une telle étude, menée avec une totale honnêteté et intégrité, aurait une influence profonde sur l’enseignement de l’Église concernant toutes les relations sexuelles, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles.

Ecrit transmis par GéO,

membre de la fraternité Pêcheurs d’hommes

* Un livre à découvrir : Moi, prêtre gay …

LA PREMIERE PIERRE

Moi, prêtre gay face à l’hypocrisie de l’Eglise

  • De Krysztof Charamsa, Léa Drouet

  • Éditeur : La Découverte
  • Parution : 02 mars 2017

La pierre angulaire est la première à être posée quand on construit un édifice. C’est la plus importante, celle qui doit tout soutenir. Pour Krzysztof Charamsa, cette première pierre a été son coming out du 3 octobre 2015. Alors qu’il exerçait depuis de nombreuses années de hautes fonctions au sein du Vatican, ce prêtre polonais a annoncé publiquement son homosexualité à la veille du synode sur la famille, afin de dénoncer l’hypocrisie de l’Eglise catholique.
Une institution qui, depuis des siècles, instrumentalise les questions sexuelles pour imposer son propre pouvoir. À travers ses préceptes et doctrines, l’Eglise conditionne ses fidèles à ne pas vivre sereinement leur sexualité. Ainsi, et alors même qu’elle parvient à dissimuler parfaitement les crimes de pédophilie, elle alimente, dans le secret du confessionnal, le sentiment de soumission des femmes à leurs époux, la culpabilisation de l’amour, la stigmatisation des homosexuels et des transsexuels, qu’elle considère comme des pestiférés.

Or, selon K. Charamsa, le clergé catholique est lui-même composé en très grande partie de prêtres homosexuels. Qui se trouvent réprimés et contraints à la clandestinité. Démis de ses fonctions par le Vatican, K. Charamsa souhaite avec ce livre secouer les consciences et poser les bases d’un nécessaire renouveau de l’Eglise. Une institution en laquelle il veut toujours croire, mais qui, si elle veut continuer à exister comme guide spirituel, doit commencer par respecter chaque personne.

* Témoignage de « Bryan »

C’est au cours de l’été 2016 que j’ai repris contact avec le groupe prêtres « pêcheurs d’hommes » de David et Jonathan. Un premier contact il y a plusieurs années n’avait pas abouti, à cause de moi ; je n’étais pas prêt à franchir le pas, par peur.

Un prêtre responsable du groupe, m’a mis en relation avec un confrère d’un diocèse voisin, qui très fraternellement m’a reçu et présenté l’association David et Jonathan et le groupe Pêcheurs d’hommes.

Au cours de l’automne, j’ai participé à une journée du groupe à Paris, puis en février 2017, à la session de 3 jours. Au cours de cette session j’ai comme chacun, présenté mon parcours.

Déjà au cours de mon enfance, je me savais « différent ». C’est au cours de mon adolescence que j’ai nommé cette différence : « je suis homosexuel ». Une découverte troublante, difficile à vivre, à gérer, surtout qu’au fond de moi j’avais cet appel à devenir prêtre.

Entrant au séminaire, j’ai enfoui cette part de moi-même, niant l’évidence. J’ai ainsi traversé mes années de séminaire paisiblement, sans difficultés.  Les premières années de ministère se sont bien déroulées également. Puis peu à peu, ce qui était enfoui est remonté à la surface, et c’est imposé à moi avec force. Ce fut violent, déstabilisant. Je n’arrivais plus à m’accepter, à m’aimer. Je me sentais submergé, et surtout très seul pour lutter. Il m’était impossible de me confier. 

A 40 ans, j’ai rencontré un ami. Ce fut ma première expérience. Il a su m’apprivoiser, et m’a appris à m’aimer, à m’accepter tel que je suis. J’ai vécu avec bonheur cette belle relation paisible durant plusieurs années, jusqu’à sa mutation professionnelle, dans une région éloignée. Ayant réussi à m’aimer, m’accepter, je n’ai ressenti aucune culpabilité. Cela m’a fait grandir, a modifié en profondeur ce que je suis ; j’ai vécu quelque chose de l’ordre de la libération.

Nous sommes tous différents, par l’âge, nos situations ecclésiales…. Mais j’ai découvert dans cette session de 3 jours, une qualité d’écoute exceptionnelle. Un grand respect, une véritable bienveillance, une fraternité. J’ai rencontré des frères.

Cela n’a pas de prix. Pour moi, c’est important d’avoir un lieu où être en vérité, tel que je suis, avec mes ombres et mes lumières. Je suis très heureux de ces 3 jours, marqués par des échanges, la célébration eucharistique, la convivialité au restaurant pour la dernière soirée. Je remercie les autres membres du groupe de m’avoir accueilli, et je remercie Dieu de m’avoir donné la force de vaincre mes peurs. Cette fraternité est précieuse ; elle est un bon soutien pour pouvoir exercer mon ministère de curé de tout un ensemble de clochers.

Depuis cet automne, des confrères -membres de Pêcheurs d’hommes- d’un diocèse voisin, qui se retrouvent plusieurs fois par an pour dîner, m’ont invité à les rejoindre. Merci à eux.

B.